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MINE & INDEPENDANCE

Toutes les difficultés que nous connaissons depuis des années autour du nickel sont liées au rôle qu’il joue dans la politique calédonienne. Et toute l’ampleur de ce rôle tient à la croyance que le nickel est une richesse qui permet d’accéder à la souveraineté économique, et donc à l’indépendance.

Hier, l’association entre la richesse minière et la souveraineté économique était portée par les indépendantistes. Aujourd’hui elle est également portée par Calédonie Ensemble. Le terme de souveraineté a d’ailleurs été utilisé à 13 reprises par Philippe Germain lors de son discours de politique générale du 13 avril 2014. Philippe Gomès l’avait utilisé seulement six fois lors de son discours de politique générale du 31 août 2009, mais l’avait systématiquement lié à la notion de « partage de souveraineté ». Le même explique, dans une dépêche AFP relayée par Le Figaro le 3 avril dernier : « Je considère que la maîtrise publique des matières premières est un élément majeur de la souveraineté économique d’un pays. » En 5 ans, le partage de souveraineté a donc cédé la place à la souveraineté économique pure et simple. Mais savons-nous seulement de quelle richesse nous parlons et, partant, à quelle souveraineté elle peut nous permettre d’accéder ?

Le monde a besoin d’environ 2 millions de tonnes de nickel-métal par an, en comptant largement. A un cours de 15 000 dollars la tonne, bien au-dessus des cours actuels, cela fait un marché mondial de 30 milliards de dollars à l’année. En face de cela, le monde a besoin de 93 millions de barils de pétrole par jour, ce qui, au cours décoté actuel du pétrole, représente un marché de deux millions de millions de dollars, soit encore 2 000 milliards de dollars.

Ces chiffres peuvent être encore plus parlants : pour accéder à un marché annuel de 30 milliards de dollars, un industriel du nickel doit construire une usine de 5 à 7 milliards de dollars. C’est un peu comme si cela coûtait aux Emirats Arabes Unis une année entière de PIB pour construire une seule raffinerie de pétrole ! Sans parler de la progression du prix de ces deux matières premières au cours des 20 dernières années : 7% par an en moyenne pour le pétrole (même compte tenu de sa chute spectaculaire des 12 derniers mois), péniblement 1% pour le nickel… et avec quelle volatilité !
Alors si cette richesse est si petite, et les investissements si lourds et donc si risqués pour la concrétiser, pourquoi une telle différence de perception à son propos en Nouvelle Calédonie ?
Je me souviens d’avoir entendu un vieux de la côte Est apostropher Alain Christnacht lors d’une allocution au Congrès le 26 juin 2013 : « N’oubliez pas que les événements, ils ont commencé à Thio. » Pendant des années en effet, à Thio comme ailleurs, des tonnes de terre, qui sont en fait du minerai, ont été extraites puis roulées vers la mer pour être expédiées et faire la richesse d’un petit nombre pendant que d’autres, sur le bord de la route, regardaient les camions passer et la montagne saigner dans la rivière. L’importance de la richesse supposée du nickel est donc RELATIVE. C’est un décalage de richesse qui apparaît au grand jour et qui, grandement appuyée par l’impact sur l’environnement, marque les esprits.

En réponse à cela, la politique répond comme elle sait le faire lorsque les institutions sont faibles : en allant au plus simple. Puisque le nickel est une richesse immense, il va payer pour l’indépendance. Et pour marier ce couple peccamineux richesse-indépendance, il faut prendre le contrôle de la ressource et en distribuer les fruits à tous. Les visions politiques sont donc directement imaginées en réponse à un ressenti.
Le contrôle majoritaire des usines est demandé pour ne plus avoir à se sentir exclus des flux de revenus tirés de la destruction de notre paysage, et pour pouvoir les partager. Il ne changera malheureusement rien au paysage : le nickel doit être extrait du sol quel que soit le propriétaire de l’usine qui le transforme. Le contrôle majoritaire restera également sans effets financiers pendant de nombreuses années, parce que les minoritaires, qui doivent aussi être les financeurs, se remboursent de leurs avances en priorité sur les revenus de l’usine, et avec intérêts comme c’est le cas pour KNS. Cela porte la durée de gestation de la « rente » à de nombreuses années, éloignant d’autant l’horizon de la souveraineté économique.

Une usine locale contrôlée à la minorité de blocage de 34% rapporte au territoire 35% de ses bénéfices (c’est l’impôt minier), puis 34% des 65% restants, soit un total de 57%. Sans compter les salaires qui sont versé dans le pays. Ils viennent en déduction des bénéfices mais abondent l’économie et épargnent à la collectivité les aides, prestations chômage, allocations et autres subventions, et ils sont à peu près stables quels que soient les cours une fois que l’usine est construite et tant qu’elle est en fonctionnement.

On peut comprendre de ce constat que le contrôle majoritaire de la SLN ne va rapporter que 11% de plus : les mêmes 35% d’impôt minier, ajoutés aux 51% des 65% restants nous font 68% au lieu de 57% actuellement. Mais pour quel coût financier ? Et pour quelles conséquences sur la gestion de l’entreprise, dont les budgets déficitaires de nos institutions absorberont systématiquement les excédents sans jamais être capables de les épargner pour apurer les pertes des mauvaises années. Quel intéressant phénomène, que celui de devoir se reposer sur une économie produisant suffisamment de richesse pour combler les pertes de la « rente » minière, par ailleurs tant recherchée pour assurer la souveraineté économique du pays ! Mais on peut aussi tirer de ce même constat une certaine exigence pour que les usines offshore, qui elles ne contribuent ni en salaires ni en impôts, soient contrôlées à au-moins 51%, mais idéalement 57% voire 68%, faute de quoi le retour serait très défavorable par comparaison. Il restera à supporter le risque financier de ce contrôle très majoritaire, rien n’étant malheureusement totalement gratuit en ce bas monde.

Une fois les emprunts remboursés, les revenus de la métallurgie seront soumis à un trio infernal : volatilité des cours du nickel, volatilité du dollar américain, effet de ciseau entre des lourds coûts d’exploitation, largement fixes, et des revenus très variables. Ce dernier effet, moins connu, est de loin le plus pesant parce qu’il démultiplie les deux premiers. Et parce qu’avec des coûts fixes, seuls le traitement de hauts volumes permet de gagner sa vie, ce qui condamne à produire en grands volumes même lorsque les cours sont bas. Une sorte de malédiction.

Certains se demandent aujourd’hui si nous ne devrions pas épargner les minerais pauvres jusqu’à ce qu’ils soient expédiés chez Jinchuan en Chine, pour générer une valeur ajoutée supérieure à celle de la seule mine. Or il y-a aura assez de latérites pour Jinchuan, puisque la Calédonie dispose de réserves importantes : 120 ans au dernier compte, sans inclure les réserves encore inconnues faute d’exploration.
Mais là encore, c’est le cœur qui parle : expédier des latérites aux chinois, même pour des volumes totaux ridicules en regard de ce que la Chine engloutit par ailleurs, c’est aussi leur dire qu’ils peuvent accéder au minerai calédonien sans avoir à concéder 51% dans une usine qu’ils auront intégralement payée. Et le contrôle majoritaire est un élément psychologiquement important pour certains d’entre nous. Didier Ventura, président de NMC, étayait cela dans une interview aux Nouvelles le 18 août dernier : les exportations par les petits mineurs pourraient « mettre à mal » les négociations en vue d’une deuxième usine offshore, en Chine, dédiée aux latérites.

Si nous considérons comme « partagé au niveau pays », selon une expression très peu stylée mais pleine de sens localement, que nous devons obtenir le plus de retombées possible pour notre minerai, mais sans supporter de risque financier démesuré, que faire ? La réponse existe depuis 2013 dans les bureaux du gouvernement et du congrès : la contribution minière, taxe qui frappera tous les volumes de nickel extraits de notre sol, et qui abondera un fonds pour les générations futures afin que nos enfants puissent profiter d’une véritable rente, sans risques environnementaux ou industriels supplémentaires, et sans consommation de ressources puisqu’un capital financier rapporte des intérêts sans s’épuiser.

Qu’attendent les gouvernements successifs pour déposer ce texte, qui a de mémoire bien entamé son parcours, de l’analyse en commission au Congrès jusqu’à la nomination de l’ancien directeur des Mines en juin 2013 pour son passage au Conseil d’Etat ? Il semble que le problème soit issu, encore, d’un ressort psychologique lié à la vision politique du nickel. La SMSP, déjà lourdement engagée financièrement, devrait aussi payer cette contribution, en tant qu’exportatrice de minerai. Une large majorité peut donc se dégager pour cette taxe, à condition, pour certains élus, d’en exonérer largement la SMSP. Mais comment alors faire passer auprès du public l’idée que la « société pays », à laquelle on vient de faire cadeau d’un redressement fiscal de plusieurs milliards, doit continuer à ne pas payer d’impôts au pays ? A quoi sert-elle dans ce cas, si ce n’est à donner du travail à des ouvriers coréens ou chinois, et à abonder le budget de ces pays grâce aux impôts versés par les usines construites sur leur sol ? Même lorsqu’on ne suit pas ces affaires minières de près, on peut s’en offusquer. Une tentative de communication a déjà été avancée, en expliquant que Vale et KNS ne payeraient pas la taxe à cause de leur régime de stabilité fiscale. Quelle découverte, les élus ont voté une stabilité fiscale pour que ces usines s’installent chez nous, et en contrepartie elles y payent des milliards en salaires depuis des années. Cette taxe, elles la paieront pourtant bien lorsque leur régime de stabilité fiscale prendra fin, et en attendant elles contribuent déjà à l’économie locale.

Investir massivement son économie dans le nickel, c’est dans l’esprit de ceux qui ont souffert d’être laissés de côté se rapprocher de l’indépendance, et ne plus laisser la maîtrise de son destin à d’autres. Mais dans la vie réelle, c’est devenir dépendants de la malédiction des ressources naturelles. C’est même s’y soumettre volontairement.

Le nickel n’est pas une richesse qui nous mènera à la souveraineté économique et à l’indépendance. C’est un outil de développement. Ni plus, ni moins.

Magellan

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Magellan

Magellan est un navigateur. Soucieux de regarder loin à l’horizon pour savoir dans quelle direction aller autant qu’à la verticale de la coque pour éviter les récifs, il observe avec curiosité. Eveillé récemment à la politique par plusieurs tempêtes, il s’interroge sur l’état du navire et sur la meilleure route à prendre. Ouvert à toutes les idées, pragmatique, avec une sensibilité particulière sur les sujets économiques, confiant dans l’équipage mais un peu moins dans la liste des capitaines possibles, il a pris le parti de se donner les moyens d’avoir ses propres opinions… et de les soumettre à la lecture des visiteurs de Calédosphère.

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Truc Machin
Truc Machin
22 août 2015 11:51

Magellan, c’est en effet un peu long… Cela dit, la souverainté dont il est ici question c’est l’autonomie, celle des ADN et rien d’autre… Et j’irais même jusqu’à dire que c’est en fait le meilleur moyen pour ne pas être indépendant… Quand à la taxe sur l’extraction minière, il est claire que ce serait un minimum et probablement une façon de régler une partie de nos soucis actuelles… Il est en effet inadmissible que certain puissent continuer à s’enrichir sur le dos des Calédoniens. Ces gens doivent comprendre que cette époque est révolue… Le libéralisme a atteint ses limites et… Lire la suite »

ENI ANA
ENI ANA
21 août 2015 18:14

Pourquoi mon post n’a pas été publié? Ah j’ai dû parler d’un sujet tabou.

Don Calédone
Ad Victoriam
Répondre à   ENI ANA
22 août 2015 19:05

Rassure toi, le lien que j’ai voulu poster ne paraîtra jamais, c’est l’avis d’un expert qui dit la réalité sur l’avenir du minerai et le plantage en beauté de ceux qui tablent sur cette richesse pour se prétendent capable de gérer un pays souverain et indépendant.

ENI ANA
ENI ANA
21 août 2015 16:30

La NC souffre en tout cas d’une économie qui s’appuie uniquement sur le nickel … et sur l’indexation des fonctionnaires. Le seul salut pour les exclus : le cannabis.

Stallion
Stallion
21 août 2015 14:25

On a du mal à imaginer que les Coréens de Posco attendent passivement qu’on leur livre notre minerai avec les incertitudes qui vont avec. Avec 49% de participation, ne vont-ils pas arriver a mettre la main sur les mines Smsp ? Les lois du commerce international nous obligeraient a nous soumettre à ces redoutables industriels asiatiques.

York
York
21 août 2015 14:01

C’est une richesse qui à permit à la France d’être 4eme au rang mondial de production de nickel. C’est une richesse…

gil
gil
21 août 2015 11:21

clair et sensé 🙂

Floyd
Floyd
Répondre à   gil
21 août 2015 12:17

Nââân, c’est trop long et ennuyeux à lire………………verdict……..,RAB.

François Pelletier
Bigfoot
Répondre à   Floyd
21 août 2015 21:57

Idem. Résumé: faut couper la NC en deux. Le Nord indépendant se d’emmerde avec son usine et les chinois et dans le sud, on gère avec les Australiens et le Japon.

XXX
XXX
Répondre à   Bigfoot
21 août 2015 23:05

– Et les latérites à Maï dont ni les Australiens, ni les Japonais ne veulent.
D’ailleurs sans ce problème, y’aurait probablement pas eu tout ce bordel.

gadjo
gadjo
Répondre à   XXX
21 août 2015 23:54

ce que mai ne dit pas c est qu il s est pris la tete grave et qu il s est faché a mort avec clive palmer , comme il semblerait que maintenant il soies aussi un peu en froid avec dang , ben il se retrouve un peu isolé (heureusement qu il lui reste encore frogier et martin) . il a qu a assumer ses coup de gueule au lieu de faire chier toute la caledonie . je remarque qu au debut du conflit ils avaient reussi a enbrigader un coutumier du sud qui a vite compris le manege… Lire la suite »

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