La grosse arnaque de la 4G

Annoncée par l’OPT à grands renforts de publicité, la 4G est censée révolutionner la vie des clients calédoniens en 2015 en les faisant « entrer dans l’Histoire ». La vérité est bien différente. Enquête.

Pour le grand public, le sigle « 4G » est censé désigner la 4e génération de la technologie utilisée par les téléphones portables. Censé car certaines technologies ont pu être utilisées sans franchir un bon générationnel, telles par exemple le GPRS ou la EDGE, qui ont marqué des étapes intermédiaires entre la 2G et la 3G.

Technicité

Sur le papier, le débit théorique de la connexion à internet grâce à la 4G (150 Mb/s –Mégabits par seconde) est multiplié par 10 par rapport à la 3G qui ne peut proposer que jusqu’à 14,4 Mb/s. Dans la pratique, les opérateurs s’accordent sur des débits usuels de l’ordre de 5Mb/s pour la 3G+ (HSPA) et de 30 Mb/s pour la 4G (LTE). Cette connexion à 30Mb/s correspond en effet au minimum règlementaire dans les standards européens et français à partir duquel on peut légitimement rentrer dans la définition du « très haut-débit » (THD) selon l’ARCEP, l’Autorité de régulation des télécoms.

En Nouvelle-Calédonie, l’opérateur monopolistique a calé le curseur du débit proposé à ses clients 3G sur 2 Mb/s, et annonce le multiplier par 10 pour ceux qui disposent d’un portable compatible 4G avec un débit maximum de 20 Mb/s. D’emblée, cela exclut donc la 4G calédonienne du droit de s’appeler « Très Haut-Débit ». Mais l’OPT entretient la confusion à ce sujet en associant la 4G à la fibre optique à la maison…

Quota de 17 minutes d’utilisation ?

En 2014, l’OPT proposait à ses clients mobiles plusieurs offres limitées en quota de 10 à 100 Mo (Mégaoctet), destinées plutôt aux « objets connectés » (comme un GPS d’engin de chantier par exemple) et une offre « Illimitée à usage raisonnable » facturée 4200 F TTC et… limitée à 2 Giga octets de données !

Concrètement, cela signifie que ce quota est épuisé au bout de 17 minutes de téléchargement au débit maximum. Au-delà, l’utilisateur se retrouve bridé à 256kb/s (kilobits par seconde) soit … 1000 fois moins rapide. Bienvenue en 2004 au temps de l’ADSL 256 ! Voilà qui explique pourquoi les abonnés à la 3G de l’OPT ont du mal à vanter le « haut-débit » de leur connexion.

En 2015, l’OPT comptait proposer de nouveaux forfaits avec le déploiement de la 4G. Comptait car c’est le gouvernement, compétent en la matière, qui devait approuver ces tarifs avant le 15 février, mais qui n’a pas pu le faire en tant que gouvernement gestionnaire des affaires courantes.

Payez pour quelques minutes de bonheur* !

Optons pour la fiction et faisons comme si ces tarifs étaient déjà entrés en vigueur pour les décortiquer. Les forfaits « Internet Mobile » proposés en 2015 reprennent le concept de « l’illimité-mais-pas-trop-non-plus » et élargissent la gamme en introduisant de nouveaux seuils de consommation : en plus du forfait 2 Go à 4200 F, des forfaits à 1 Go, 4 Go et 10 Go sont proposés à des tarifs respectifs de 2520 F, 6300 F et 12600 F TTC.

Cependant, les « chanceux » qui sont équipés d’un téléphone dernier cri pourront bénéficier des avantages de la 4G en se connectant à une vitesse de 20Mb/s. Pour ceux qui comme moi ne sont pas copains avec le calcul mental, cela signifie concrètement ceci : un forfait à 12600F sera épuisé au bout d’une heure et 8 minutes ; pour 6300 F l’heureux internaute pourra télécharger pendant 27 minutes ; et enfin le « pauvre » titulaire d’un abonnement entrée de gamme à 2520 F bénéficiera de sa connexion « haut-débit » pendant 6 minutes et 50 secondes, le temps donc de télécharger un film et un album. Au-delà de ces durées fabuleuses, l’OPT dans son infinie bonté permettra tout de même à l’internaute calédonien mobile de continuer à surfer à des vitesses variant entre 512kb/s et 1Mb/s, soit la vitesse des abonnements à l’ADSL à l’arrivée du câble sous-marin en 2008. Il ne s’agira donc là en aucune manière de « très haut débit ».

Qui y perd ?

Les exemples illustrant la batterie de chiffres indigestes sont évidemment des cas exceptionnels puisqu’ils visent uniquement le téléchargement, qui n’est pas l’utilisation principale des abonnés à l’internet mobile. Cependant, les internautes aguerris l’auront compris : l’arrivée de la 4G en Nouvelle-Calédonie n’est en rien une révolution ni même un moyen de « rentrer dans l’Histoire » comme le vantent allégrement les publicités de l’OPT placardées dans tout le pays. Les conséquences de l’arrivée de la 4G sur le paysage des télécoms calédonien sont à analyser selon le point de vue que l’on choisit d’adopter.

Ø Pour les consommateurs, la 4G est vendue comme un saut technologique par rapport à la 3G, mais c’est en réalité un prétexte marketing pour convaincre les simples abonnés Mobilis d’acheter un seul et même produit supplémentaire : l’Internet Mobile. Pour le portefeuille, c’est une dépense qui viendra s’ajouter au forfait Mobilis en raison de la volonté de l’OPT de ne pas proposer d’offre packagée « tout compris » Mobilis+SMS+4G comme cela se pratique dans tous les autres pays du monde… pour le même prix ! Sans parler du fait que ces offres incluent bien souvent les appels et les SMS illimités. Bref, le consommateur calédonien va être le dindon de la farce, roulé, tondu et grassement ponctionné.

Ø Pour le gouvernement, l’arrivée de la 4G constitue manifestement un manque à gagner en termes de « licences d’opérateurs télécom ». En effet, dans tous les autres pays les opérateurs télécom ont dû acheter, à prix fort, le droit d’utiliser les fréquences radio sur lesquelles fonctionne la 4G. En France, les fréquences ont fait l’objet de deux appels d’offres sous la forme de vente aux enchères.

Ces ventes aux enchères ont permis à l’Etat de collecter pas moins de 3,5 Milliards d’euros, soit quasiment 430 Milliards de Fcfp! Rapporté à la population de la Nouvelle-Calédonie, on peut estimer que le prix d’une licence 4G se situerait dans une fourchette comprise entre 500 et 800 millions Fcfp… par opérateur ! Nos voisins polynésiens ont quant à eux fixé le prix de cette licence d’opérateur Mobile au prix forfaitaire de 1 Milliard 500 Millions Fcfp ! Quand on sait que le budget de la Nouvelle-Calédonie est dans le rouge et que dans le même temps l’OPT-NC a réalisé un bénéfice net de 1,661 Milliards pour l’année 2013, on se dit qu’il y aurait peut-être des leviers de financement à étudier de ce côté-ci.

Qui y gagne ?

Comme dans toute opération il y a forcément un gagnant, vous aurez compris que l’arrivée de la 4G en Nouvelle-Calédonie est une aubaine pour l’OPT. En effet, l’arrivée de la 4G est principalement l’occasion pour l’OPT de réaffirmer la nécessité de maintenir son monopole en tant qu’opérateur public, sous prétexte d’un investissement de 3 Milliards de Fcfp sur fonds propres. La part de l’investissement consacrée effectivement à la 4G n’est en réalité que d’1 Milliard, versé à la société INTELIA de Rémi GALASSO, proche de l’ancien président de l’OPT Harold MARTIN, dans le cadre d’un marché public attribué à la veille des élections de 2014. Échaudé par sa récente mise en examen, Harold MARTIN n’avait alors pas souhaité que l’OPT fasse appel à la défiscalisation et permette ainsi à l’OPT d’obtenir une aide des pouvoirs publics en diminuant ses dépenses d’investissement. Notons que le 8 janvier 2014, dans un article des Nouvelles Calédoniennes, celui qui était encore président du gouvernement expliquait pourtant que concernant la 3G :

Le projet était à 100 % défiscalisable aux yeux de Bercy (…) Cette décision a permis à l’OPT de récupérer 1,350 milliard de francs. Les usagers calédoniens en ont bénéficié sur leur abonnement (Harold MARTIN)

Si on en croit l’ancien président du CA de l’OPT, les consommateurs calédoniens auraient donc profité d’une baisse des prix sur la 3G grâce à la défiscalisation de Bercy. Si cet argument est juste, alors, par corollaire, cette diminution des coûts ne pourra pas s’effectuer s’agissant des futurs abonnements 4G, puisque l’OPT a refusé de porter tout dossier de défiscalisation et a préféré payer comptant ! Une fois de plus, ce seront donc les abonnés calédoniens qui en subiront les conséquences.

Un monopole au service des nantis

Grâce à ce monopole sur la téléphonie mobile, l’OPT a réalisé en 2013 un chiffre d’affaires de 12 Milliards F CFP, soit plus de 50% de son chiffre d’affaires total ! Avec l’arrivée de la 4G, l’OPT dit espérer convaincre une partie ses 257.000 clients Mobilis, et notamment les 13.500 (8% du parc) équipés d’un téléphone compatible 4G, de souscrire à une offre Internet Mobile, afin d’augmenter son chiffre d’affaires. Comparée aux 244.000 clients équipés d’un simple téléphone compatible 2G, la 4G fait donc bel et bien figure de gadget de nantis ou d’arnaque publicitaire puisque 92% des Calédoniens ne peuvent pas y accéder aujourd’hui.

Pour autant, ces chiffres ont de quoi donner le tournis et expliquent en partie le train de vie parfois somptuaire des agents de l’OPT qui bénéficient indirectement de cette manne financière. C’est ainsi que primes, maisons et appartements de fonction, avantages en nature et même voyages divers sont généreusement octroyés aux « cadres méritants » (souvenez-vous du scandale « On a marché sur la Gold Coast » où plus d’une douzaine de cadres de l’OPT étaient partis mener la grande vie en Australie, le tout payé par l’office…)

Une manne financière qui a, du reste, de quoi aiguiser l’appétit des grands groupes internationaux présents dans le Pacifique, tels Vodafone, Digicel ou même Orange, qui – à l’heure où nous parlons – avancent déjà leurs pions en Calédonie…