Attentats : l’Europe des fragiles

« Je me presse de rire de tout de peur d’être obligé d’en pleurer ». Au lendemain des attentats de Bruxelles et désormais habitué comme d’autres, mais malgré moi, aux images post-apocalyptiques ressassées par les chaînes d’information, je me suis tourné vers cette pensée de Beaumarchais. Car si la situation de tension et de quasi guerre civile créée par les attentats qui frappent l’Europe et ses peuples accroit depuis des mois les sentiments d’angoisse et de peur chez le citoyen lambda, elle n’en reste pas moins – et d’une certaine manière – riche en enseignement sur ce qu’est devenue la civilisation européenne. Une civilisation implacablement confrontée au réel mais totalement incapable de lui faire face. Comme des enfants de cinq ans, depuis 48 heures nombreux sont nos compatriotes mais surtout leurs têtes dirigeantes qui se réfugient dans le déni, l’irrationnel, les pleurs ou la chouinardise. En vérité, et ils en deviennent touchant, ils nous font tous un gros caprice. « On » leur refuse la paix. « On » leur refuse le calme. « On » veut leur faire du mal. « On » les aime pas et, ça, c’est vraiment trop injuste. Alors ils pignent, et les médias trouvent particulièrement pertinent le fait de retranscrire leurs jérémiades et leurs pleurnicheries.

Ce sont bien sûr les dessins tous plus gnangnan les uns que les autres qui parsèment la toile. Comme dans une thérapie de groupe d’une classe de maternelle marquée par la mort du chat du quartier, on invite les uns et les autres à dessiner et à partager des petits croquis évoquant au choix des personnages tristes, des petits cœurs et des gens en larmes. Comme lorsqu’un enfant a perdu un être cher et que ses parents le pousse à crayonner ses craintes et ses frayeurs pour mieux les appréhender. Que dire de plus ? On considère simplement aujourd’hui l’adulte européen « civilisé » comme un gamin. Or la différence entre un adulte et un enfant, c’est que ce dernier du fait de son inexpérience, de son âge et de sa place dans la société n’a pas à assumer l’entière responsabilité de ses actes et de ses choix. Car, par définition, l’enfant ne contrôle pas son monde. D’autres le font pour lui, et ce sont les adultes. Mais alors, aujourd’hui, qui assume à la place des citoyens européens que l’on considère comme des enfants ? Qui est responsable ? Laissons tomber, nous connaissons déjà la réponse : personne.

Les réponses des politiques ne laissent pas non plus indifférent. Leurs « solutions » sont simplement à mourir de rire. Pour combattre les bombes et les Kalachnikovs, ils proclament (et le pire c’est qu’ils y croient) qu’il faut au choix plus de service public (les postiers font, il est vrai, trembler Daesh), plus de compassion, et davantage de tolérance. En oubliant que la tolérance, il y a surtout des maisons pour ça.

Le message de Jane, cette petite fille de sept ans, est en ce sens très instructif. « J’ai écrit mort aux bombes parce que les bombes elles sont pas gentilles ». On croirait du François Hollande dans le texte. Partagé à foison par les médias belges tel un slogan révolutionnaire, la pensée de cette petite puce devient un hymne sur lequel on souhaite voir les citoyens se rassembler. Mais après tout, Jane a raison n’est-il pas ? Et d’ailleurs à tout prendre, la paix, c’est mieux que la guerre. Si on peut proclamer au premier abord que les analyses sociologiques d’une gamine de cet âge n’ont strictement aucun intérêt et font autant avancer le débat qu’une bombe fait avancer un train, ces petites phrases répétées sur tous les tons participent en vérité à l’anesthésie collective. De sorte que personne ne se pose plus de question. Oui, après tout, elle a raison cette gamine : les bombes, elles sont pas gentilles du tout.

En janvier 2015, un pianiste avait joué Imagine devant les bureaux décimés de Charlie Hebdo. Cette fois-ci c’est un carillonneur qui a eu l’amabilité de se déplacer pour jouer du John Lennon. Espérons que lors du prochain attentat, ce soit un violoniste. “Imagine” au violon, c’est tout de même très beau. Peut-être même que lorsque les prochains attentats frapperont concomitamment plusieurs capitales européennes, on aura le droit à un orchestre. Et pendant ce temps-là, les terroristes tremblent bien sûr. Il faut dire qu’ils craignent la musique par-dessus tout. En tout cas, c’est ce qu’on dit.

Les réactions des dirigeants européens d’aujourd’hui sont, elles-aussi, riches en enseignement. L’Europe est un continent qui a donné Churchill, l’homme qui ne promettait que « du sang et des larmes » à ses compatriotes. Excusez du peu mais il a vaincu Hitler. L’Europe a eu Clemenceau, le vieux tigre qui a 76 ans visitait encore les tranchées et encourageait ses soldats à tenir et à se battre. L’Europe a eu De Gaulle, Garibaldi, et tant d’autres encore. Désormais, l’Europe a comme chef de sa diplomatie une femme que personne ne connait et que personne n’a jamais élu. Celle-ci, assommée par la nouvelle des attentats s’est effondrée en larmes devant les caméras du monde entier. Moment de honte. C’est l’Europe des fragiles. Ils n’expliquent pas ce qu’il advient. Ils ne savent pas quoi faire. Ils sont totalement impuissants à réagir. Ils ne comprennent rien. Alors, comme des enfants : ils pleurent. « Au secours, venez m’aider ! » semblent-ils nous dire. Malheureusement, c’est normalement à eux de nous aider. Et, avec des gens comme ça, on risque d’attendre longtemps.

Et puis soudain, au détour d’un réseau, quelques voix censées se lèvent et font mouche. En un éclair, les mots brisent le chant des sirènes qui nous endorment et nous paralysent. Comme ceux de cette enseignante franco-marocaine, musulmane et professeur de français. Et on se dit que si l’idéal européen existe toujours il est peut-être porté par d’autres désormais, mais qu’en définitive, et c’est une raison d’espérer, il n’est pas encore tout-à-fait mort.