Délinquance violente : à propos « des jeunes »

Avec les derniers événements de Saint Louis, et bien d’autres ayant lieu avant, où des (jeunes) individus violents se livrent sans retenue à des actes criminels et autres agressions en tout genre contre la société et contre les personnes, nous avons eu droit au discours policé qui, parlant de ces délinquants, utilise sans relâche l’expression « les jeunes ». Le politiquement correct étant un fléau qui s’immisce dans tous les rouages du langage public et de l‘intelligence collective, aujourd’hui lorsque des individus d’une jeune âge –même passé 20 ans– commettent des actes de délinquance ou de violence criminelle envers les personnes et les forces de l’ordre, les politiciens, les journalistes et hommes de bonne conscience parlent, que dis-je, martèle le mot « les jeunes » pour nommer ces voyous, ces bandits à la violence débridée. Ce discours me pose problème et je le conteste pour plusieurs raisons. Parce qu’il est en premier lieu une manipulation; le mot « jeune » porte en soi une connotation positive; être jeune, c’est une qualité. Qualités accompagnées des sous-entendus positifs dans le statut et le rapport social à l’autre; être jeune, c’est être sympathique, fraîchement bien élevé (normalement), avoir de l’énergie, de l’ambition, aimer la vie, avoir l‘innocence de sa jeunesse. L’utilisation de ce mot pour qualifier les voyous et violents multirécidivistes plus adultes que « jeunes » est déjà une première manipulation d’ « amoindrissement » de la gravité de la faute et du statut de fautif par le truchement des connotations positives de ce mot bien ancrées dans notre psyché collectif.

Si tous les voyous sont des jeunes*, tous les jeunes ne sont pas des voyous. Si « les jeunes » est un terme généralisant pour une catégorie d’âge, tous les individus de cette catégorie d’âge ne sont pas des voyous, des voleurs, des caillasseurs, des agresseurs violents. Mais cette généralisation est au minimum une erreur de jugement, au pire un mensonge, car non seulement on crée avec tous les individus de cette catégorie d’âge un corps social reconnu en tant que tel, mais on fait des « jeunes » (délinquants violents) dans leur ensemble aux yeux de la société une catégorie peu recommandable, agressive et sans respect, une menace pour la société, pour les adultes, ou « les vieux » si vous préférez. Pire, on crée un corps social légitimé dans son attitude hostile mais néanmoins reconnu dans sa légitimité d‘interlocuteur puisque l’on « négocie avec les jeunes » . On nourrit et aggrave ce qu’on appelle avec regret la fracture entre les générations –tout en la déplorant. Cela est une faute et une injustice car on met en accusation tous ceux qui sont « jeunes » mais sans être des voyous violents récidivistes. Triste constat, le langage politiquement correct est déjà une erreur d’appréciation et une injustice sociale dont la portée était insoupçonnée… les intellectuels du politiquement correct gèrent mal leur truc…. . En passant, on note qu’un fonctionnaire d’ Etat peut se faire briser les reins par sa hiérarchie, mais le « jeune » délinquant violent, lui et en bande a le droit à la négociation; il est un interlocuteur reconnu; l’Etat respecte les violents. Autre injustice, autre fracture, moins visible mais tant réelle dans le ressenti collectif. Le politiquement correct est une bombe dont les ondes de choc variées portent loin et fort.

Le discours « les jeunes » a été encore officialisé et amené à un certain paroxysme lors du passage du Haut-Commissaire au journal télévisé; un festival du « jeunes », « jeunes cagoulés », bref, on ne compte plus le nombre de fois où le mot a été prononcé (pour parler sans doute d‘adultes) sans oublier les passages de compassion, où le presque-meurtrier d’un gendarme a eu l’honneur d’avoir son nom cité et précédé de la qualité ; « le jeune William Décoiré ». Le propos –avec l’intonation appropriée– porte en lui la compassion, le portait attendrissant, la victimisation, le coupable au long casier judiciaire est victime du simple fait de son statut de « jeune »; car eu égard aux qualités du statut de jeune expliquées plus haut, alors les forces de l’ordre sont coupables d’avoir « tué un jeune ». Péché impardonnable. Non, ils ont tué un évadé, un multirécidiviste, un individu dangereux de 23 ans –un adulte, pas un jeune de 17 ans– et sans doute déjà violent par le passé et encore violent ce jour du 29 octobre où il a garni un peu plus son palmarès criminel en y ajoutant une tentative de meurtre….avec un véhicule volé… qu’il conduisait. On est loin de l’innocence. Il ne s’agit pas ici de « salir la mémoire » mais de s’en tenir aux faits. Cette compassion dans la bouche d’un haut-fonctionnaire représentant l’Etat, c’est l’autorité morale de ce dernier qui s’évanouit. Espérons qu’on s’arrêtera là….

Utiliser constamment le mot « jeune » pour identifier des individus cagoulés, hostiles, agresseurs violents de manière décomplexée contre leurs victimes innocentes que sont les automobilistes est à mon sens choquant. De même, tous les jeunes qui habitent à Saint Louis ne sont pas des voyous; j’en connais, j’en ai eu et j’en ai parmi mes élèves; ils sont scolarisés, ils sont bien élevés, agréables et sans histoires. Alors il est temps de faire la part des choses, de ne plus se tromper et surtout d’être « juste », pour ceux qui aiment que l’on soit « juste » et veulent « la justice », y compris « la justice sociale ». Le samedi soir, « les jeunes » se réunissent et font la fête, s’amusent, dansent, flirtent. Le samedi soir, les voyous, se réunissent pour entrer dans des maisons, voler des voitures, violenter des personnes, et à l’occasion foncer sur les agents dépositaires de l‘autorité publique, ce qui s‘apparente à une tentative de meurtre. Soyez justes, ne nommez pas les deuxièmes avec le même mot que pour les premiers. C’est une généralisation, … un amalgame … de la part des champions du « pas d’amalgame », l’erreur est quand même grossière. Pire encore, ces voyous et délinquants dangereux étant pratiquement tous Kanak, c’est toute la jeunesse kanak que vous mettez dans le même sac.

Ne pas appeler ces individus des voyous, des criminels mais des « jeunes » est en soi une faiblesse et une tromperie. C‘est une faiblesse parce que c’est renoncer à avoir une autorité morale sur eux en les qualifiant comme ils le méritent, c’est se refuser d’exercer l’autorité de leur donner le repère moral qui distingue le bien du mal. C’est donc une tromperie puisque c’est s’abstenir de les nommer tels que la société les considèrent, les rejettent et s‘en protège, et ce à juste titre. C’est leur mentir par omission sur ce qu’ils sont, et donc faire le contraire de leur rendre service en les mettant devant la gravité de leurs actes. Nous avons devant nous le triste spectacle du politiquement correct qui consiste à tenter de faire disparaître les maux derrière les mots, qui par prestidigitation sémantique croit faire disparaître le mal en ne le nommant pas. Pire, au final c’est le politiquement correct qui par amalgame poignarde dans le dos tous les autres jeunes qui ne sont pas des voyous en les rangeant dans la même catégorie que les autres puisque désignés par le même mot. Les jeunes kanak, faut-il le rappeler ?

Cette tromperie et cette faiblesse sont d’autant plus inacceptables et méprisables qu’elles viennent de personnes qui font de la politique, qui prétendent être aux manettes du pouvoir d’un pays, et qui n’ont pas le courage et l’honnêteté de nommer des individus coupables et le problème qu’ils représentent avec les mots justes. Etre crédible dans sa prétention politique à diriger un pays, c’est déjà ne pas se tromper quand on nomme les problèmes. Car on ne lutte pas contre un problème lorsqu’au départ on se trompe sur ce qu’il est en ne le nommant pas correctement. On parle souvent de « jeunesse en perte de repère »; c’est sûr, si on ne nomme pas les coupables avec les mots justes, en faisant fi du repère moral qui distingue le bien du mal… on y contribue, à cette perte de repère, car qualifier des voyous violents de « jeunes », c’est les maintenir dans la croyance de leur innocence de part leur jeunesse. Dans ce cas, le politiquement correct ne protège pas, il imbécilise, il détruit. Et il détruit aussi tous les jeunes. Il est grand temps d’en sortir.

Mister Eric

* sauf les voyous de la politique.