Les coulisses de “l’affaire Noraro”

L’appel à témoin lancé par la gendarmerie visant à retrouver le leader désigné des évènements de Saint-Louis créé la polémique sur les réseaux sociaux calédoniens. De nombreux kanak vivent mal la publication du nom et du portrait de Ramon Noraro et le clivage se tend entre les communautés.

Pourquoi le nom et le portrait de Ramon Noraro ont été diffusés et pas celui du jeune qui a renversé et causé la mort de la jeune Mathilde Molina en aout dernier ? C’est la question posée par des centaines de personnes (majoritairement d’origine kanak) aux autorités et aux médias sur la toile calédonienne. Pour y répondre, la gendarmerie a dû s’expliquer face à des internautes souvent critiques, parfois violents verbalement, lesquels fustigeaient d’une part la publication du nom et des photographies de celui qui est aujourd’hui recherché activement pour des troubles à l’ordre public sur St-Louis et d’autre part critiquaient l’absence de publication, hier, des noms des auteurs de l’affaire Mathilde Molina, un drame tragique qui avait profondément marqué l’opinion publique calédonienne (le jeune conducteur l’ayant fauchée s’étant enfui et ayant nié durant des semaines son crime). Or, les arguments de la gendarmerie sont simples : dans un cas, l’appel à témoin sert les intérêts de l’enquête actuelle (Roger Noraro étant déclaré dangereux, armé, sans logement fixe et impossible à localiser), mais dans l’autre cas, les deux auteurs, une fois leur identité trouvée, avaient été facilement appréhendés et arrêtés.

Pas de quoi pour autant rassurer ou réconforter une part de la population kanak qui voit dans la publication des photos de Ramon Noraro une insulte, d’autant que le nom de famille a, dans la culture kanak, une très grande importance. C’est ainsi que l’ensemble des médias « mainstream » calédoniens ayant partagé et diffusé l’appel à témoin des forces de l’ordre ont été sous le coup d’une vague de critiques pratiquement sans précédent.

Une fois n’est pas coutume, on ne peut que soutenir le choix de Nouvelle-Calédonie 1ère, des Nouvelles Calédoniennes, de NCI, de NRJ et de tous les autres médias qui ont décidé de relayer l’appel de la gendarmerie. Tout d’abord parce qu’il s’agit d’un signalement officiel des forces de l’ordre mis en place afin d’aider les enquêteurs à faire toute la lumière sur les exactions commises depuis des semaines sur Saint-Louis, et d’autre part parce que Ramon Noraro a fait publiquement savoir depuis la mort de William Décoiré qu’il ne s’arrêterait que lorsque lui ou un autre aurait réussi à tuer un gendarme. « Un gendarme pour un kanak », selon des sources proches de l’enquête, c’est en effet en ces termes que Ramon Noraro s’exprimerait pour justifier auprès des habitants de Saint-Louis ces agissements aux abords et au sein de la tribu du Mont-Dore Sud… La question est donc : doit-on laisser agir impunément et libre quelqu’un qui projette d’assassiner et qui a déjà tiré des coups de feu dans l’intention de tuer ?

On ne choisit pas sa famille ?

Reste que si la publication de son patronyme gène certains milieux c’est aussi parce que le propre père de Ramon Noraro est bien connu dans le monde économique et coutumier calédonien. L’auteur de coups de feu contre les gendarmes est en effet le fils de Roger Noraro. Un syndicaliste bien connu au port autonome et l’un des membres fondateurs du GIE Tüü, un groupement d’intérêts économiques qui chapeaute les structures créées dans le Sud pour associer les clans coutumiers au projet d’usine du sud. Ce GIE pilote ainsi les riches sociétés par actions simplifiées Goro Mines et Ko-Mwâ-ï qui vivent du développement et du fonctionnement de l’usine de la multinationale VALE, implantée à Goro. Mais, surtout, Roger Noraro n’est autre que… le porte-parole des coutumiers de Saint-Louis. Au début du mois de novembre, selon le journaliste des Nouvelles Jean-Alexis Gallien-Lamarche, c’est avec lui qu’Eric Gay, le maire du Mont-Dore, avait négocié la réouverture de la route, bloquée par quelques individus armés :

« Dimanche, c’est pendant plus de deux heures que le premier magistrat a « négocié » avec les coutumiers Roch Wamytan, Roger Noraro,(…) afin de trouver un terrain d’entente le plus rapidement possible. « Il a toujours pris soin d’être très attentif aux démarches coutumières » (LNC, 02/11/2016)

Autrement dit : celui qui négocie avec les autorités et les forces de l’ordre en cas de blocage, est le père de celui qui pilote les blocages ! Quant à Roch Wamytan, il connait aussi très bien l’autre profil de criminel qui était encore il y a peu activement recherché par les gendarmes. Ce lundi, lorsque les médias ont diffusé les photographies et le nom de Ramon Noraro, ils ont aussi évoqué un autre individu. Un homme surnommé « banane » par ses proches et soupçonné d’avoir activement participé aux violences, aux caillassages et aux coups de feu qui avaient touché six gendarmes et blessés plusieurs automobilistes. Si celui-ci s’est rendu, son nom est dans son cas resté secret. Mais pour les lecteurs assidus de Calédosphère, il n’est pas un inconnu. Et c’est l’ancien Commissaire délégué de la République en province Sud qui l’avait cité dans un discours qui avait marqué les élus de l’assemblée provinciale en septembre 2014. Car, puisqu’il s’agit de lui, Rock-Victorin « Banane » Wamytan n’en est pas à son coup d’essai sur Saint-Louis. Cela fait plusieurs années maintenant qu’il est aux premières loges dès qu’il s’agit de mettre le feu aux poudres :

« Nous avons interpellé un jeune homme, Théophile Wamytan, qui a été condamné hier à cinq ans de prison ferme. Il était à l’origine notamment d’un certain nombre de désordres au sein de Saint-Louis et à l’extérieur, de tirs sur un gendarme, qui a été blessé (…) ce matin même, nous avons interpellé Victorin Wamytan, jeune auteur d’un certain nombre de désordres pas plus tard que le week-end dernier, de caillassage, de désordres répétés et donc la justice pénale prendra sa décision une fois la qualification des faits reconnue et établie (Régis Elbez, Commissaire Délégué de la République en province Sud, 12/09/2014) »

Or, Rock-Victorin Wamytan est l’un des neveux de Roch Wamytan, président du groupe UC-FLNKS au congrès et Grand Chef de Saint-Louis. Agitateur et meneur durant les derniers évènements, ayant plusieurs fois menacé de mort les gendarmes, il vient d’être condamné ce mercredi par le tribunal correctionnel de Nouméa à deux ans de prison ferme. Par conséquent, parmi les intervenants de la tribu qui viennent négocier, au nom des habitants de Saint-Louis, avec le maire du Mont-Dore, le Haut-commissaire et le Président du gouvernement se trouvent les plus proches parents des principaux criminels responsables des désordres et des délits commis dans la zone depuis des années.