Investitures : le chœur des pleureuses

En son temps, Raymond Barre les fustigeait déjà. Lui qui les appelait “Les porteurs de pancartes, ceux qui scribouillent, jacassent et babillent, le chœur des pleureuses et le cortège des beaux esprits, des milieux qui ne vivent que de manœuvres, d’intrigues et de ragots”. Quelques décennies plus tard, après quelques manœuvres, intrigues et ragots en tout genre, un tel « chœur des pleureuses » vient de se faire entendre sous nos contrées ensoleillées.

Cette fois-ci, ces pleureuses assermentées, qui dans d’autres parties du monde sont généralement rétribuées pour suivre un cortège funéraire en feignant un chagrin de comédienne, ont joint leurs gémissements et leurs larmes à une décision purement politique. Celle des instances de l’UDI et des Républicains qui ont officiellement octroyé leur investiture à Philippe Gomes, député de la Nouvelle-Calédonie. On constatera qu’il en faut parfois très peu pour faire se plaindre certains.

Ils se sont tout de même lamentés et désolés publiquement, de sorte que tous les Calédoniens soient bien au courant de leur mal-être et de leur grande contrition. Et dans ce chant des lamentations, deux sons se sont fait entendre.

Les stupéfaits et les effarés

D’abord celui des « stupéfiés » composé d’Harold Martin et de Sonia Backes, respectivement candidats dans la seconde et dans la première circonscription. Ils l’ont dit à l’unisson dans un communiqué commun le 16 mars : « Nous, les Républicains de Nouvelle-Calédonie, apprenons avec stupeur qu’une investiture les Républicains-UDI a été accordée à Philippe Gomes », ont-ils ainsi déclaré. Oui, chez le ténor et la soprano de ce chœur des pleureuses c’est la « stupeur » qui a prédominé. Pensez donc, un parlementaire membre d’un groupe de la droite républicaine depuis cinq années qui a été choisi et investi par cette même droite républicaine à l’occasion des prochaines élections, ce n’est pas incroyable, ce n’est pas prodigieux et c’est plus qu’étonnant : C’est tout simplement stupéfiant.

Le second effet stéréophonique a été entendu dès le lendemain et c’est celui des « effarés ». Le 17 mars, Gaël Yanno, lui aussi candidat aux élections législatives, a ainsi fait savoir dans un communiqué que « Les Calédoniens (…) découvrent avec effarement l’investiture de Philippe Gomes par le parti Les Républicains ». Effarement ! Un mot qui découle du sentiment d’effroi et de l’ébahissement. Rien que ça. L’oreille fine, l’ex-député de la 1ère circonscription a certainement dû entendre les cris et les plaintes venus du pays profond que nul autre n’avait perçus avant lui. Dans les quartiers, les villages, les vallées et les tribus : le peuple aurait été à ce point saisi par cette information que le candidat Yanno n’a pu que s’en faire l’écho. Ou pas.

Pire, pour les « effarés », cette décision ne peut « qu’éloigner encore un peu plus nos concitoyens de la vie publique ». Pour les « stupéfiés », c’est encore plus grave. La décision des instances des Républicains, qualifiés de « déconnectés », est jugée carrément « inique », c’est-à-dire inadmissible et illégitime. Elle est en sus, selon eux, l’expression d’une « forfaiture », dont se seraient rendus coupables les dirigeants des Républicains. Si les mots « félons » et « traitres » n’ont pas encore été prononcés, on peut craindre leur emploi à l’occasion de la rédaction d’un prochain communiqué…

Cependant, reste à savoir pourquoi alors ces uns et ces autres sont allés l’année dernière plusieurs fois à Paris pour demander cette même investiture à ces instances « déconnectées » qui souffriraient aujourd’hui, selon ce chœur de pleureuses, d’une « méconnaissance inquiétante du dossier calédonien » ? De même, est-ce à croire que ceux qui octroient une investiture ne pourraient être jugés raisonnables et intelligents que lorsque leurs décisions finales sont favorables aux quémandeurs ? Car dans le cas contraire, le moins que l’on puisse dire est qu’ils sont bien mal remerciés.

Mais la question n’est-elle pas surtout : pourquoi ? En effet, pourquoi l’UDI et les Républicains ont-ils choisi Philippe Gomes et pourquoi ont-ils choisi Bernard Deladrière ? Mis à part leurs parrainages à son actif, pourquoi François Fillon, le candidat des Républicains à la présidentielle, soutient-il ces deux personnalités ?

Chefs de paix et chefs de guerre

Et si c’était simplement parce qu’à moins de deux ans de la consultation de la sortie de l’accord de Nouméa, les deux hommes partageaient le même souci d’apaisement en ce qui concerne la préparation du référendum d’autodétermination ? Car si l’un veut l’éclairer et si le second veut un troisième accord et s’ils ne partagent pas vraiment les mêmes idées, les deux concèdent que, d’une part, les indépendantistes ne sont pas des ennemis (mais simplement des Calédoniens qui ne partagent pas la même sensibilité politique) et que, d’autre part, il vaudrait mieux convaincre ces indépendantistes du bien-fondé pour la Nouvelle-Calédonie de rester dans la République, plutôt que de les affronter de façon stérile. C’est peut-être tout simplement cet état d’esprit là qui explique la décision des dirigeants des Républicains… Un état d’esprit constructif et respectueux des Calédoniens quel que soit leur sensibilité d’appartenance.

Car dans son livre-programme « Libre », Sonia Backes explique toute l’affection et la confiance qu’elle éprouve pour Harold Martin, qu’elle présente justement comme le dernier « chef de guerre » qu’elle connaisse. Et elle se place dans ses pas, ce qui est parfaitement son droit. Mais si, concernant la Nouvelle-Calédonie et connaissant son histoire, les dirigeants français ne voulaient tout simplement pas de « chefs de guerre », habitués à soumettre ou à menacer, mais plutôt des « chefs de paix », capables d’assurer le vivre-ensemble et le destin commun ?

En définitive, si la direction des Républicains en général et François Fillon en particulier, avaient soutenu ou souhaité l’idée selon laquelle il fallait aller au référendum de 2018 tel que prévu, histoire de bien “claquer les indépendantistes une fois pour toutes” et de “discuter ensuite pour savoir comment on fait”, ils auraient certainement donné l’investiture à ces prétendus chefs de guerre. Dommage que depuis, ces « chefs de guerre » soient apparus aux yeux de beaucoup comme un petit chœur de pleureuses.
Qui se dévoue pour leur offrir des petits mouchoirs ?