SMTI : Tyuienon sous le regard de la justice

L’audit des comptes du réseau d’autocars interurbain (le Raï) a révélé un niveau d’incompétence ahurissant de la part de ses dirigeants : pilotage, financement, non-respect de la loi et des procédures,… le rapport démontre que Gilbert Tyuienon, président du SMTI, entraine la structure dans le gouffre et fait courir le risque à tous les automobilistes calédoniens de payer la note. Face à ce constat, le Haut-commissaire vient de porter plainte contre l’organisme.

Pour renflouer le SMTI en quasi faillite après seulement trois ans d’existence, Gilbert Tyuienon son président en fonction souhaite désormais augmenter (encore) le prix de l’essence. Les langues se sont en effet déliées suite au précédent article paru dans ces colonnes sur le sujet. Car après la diffusion des plaintes des acteurs du secteur envers le SMTI, l’étude du cabinet comptable KPMG sur le fonctionnement de l’organisme a circulé sous le manteau chez les professionnels des transports en commun du territoire et elle a provoqué un sacré pataquès. Tout a commencé lorsque le syndicat a demandé 350 millions de francs de subvention supplémentaire pour équilibrer son budget en début d’année. Une demande qui n’est pas passée inaperçue puisqu’elle représente plus du double de celle de 2016. Les actionnaires du SMTI ont alors demandé qu’un audit comptable soit effectué pour comprendre la situation. Et les Province Sud, Nord et le Gouvernement ont eu la surprise de constater que l’organisme était géré par rien de moins que des incompétents mais aussi quelques profiteurs aux petits-pieds…

Un rapport alarmant et des détournements de fonds ?

En une trentaine de page, le rapport de KPMG souligne un nombre très conséquent d’aberrations liées à la gestion de la structure. Si la liste ci-dessous n’est pas exhaustive, elle permet de comprendre que le SMTI est géré d’une façon bien particulière qui ressemble drôlement à un système ploutocratique ou carrément mafieux :

• Ainsi, il s’avère que Gilbert Tyuienon a mis fin en 2015 au contrat d’entretien des bus reliant l’organisme à un ancien prestataire sans passer alors par un appel d’offre public. Une mesure totalement illégale. La prestation ayant depuis été « refilée » à une autre société basée à Ducos dont le patron serait l’un de ses proches. Or, cette nouvelle société ne gère plus la maintenance des pneus et la prestation est donc incomplète. Conséquences, les frais d’entretien et de réparation ont augmenté entre 2015 et 2016 de plus de 81% passant de 151 millions à 236 millions. De plus, aucune dotation aux amortissements n’a été prévue (page 20 du rapport), autrement dit l’usure des pneus des cars risque de plomber tout le fonctionnement de l’organisme. L’impact comptable est, selon KPMG, déjà de 271 millions par an.

• Le salaire des trois cadres (tous placés par Gilbert Tyuienon) est en moyenne de 846.000 Fcfp (page 21 du rapport) Parmi eux, Patrick Holéro, le directeur adjoint du SMTI. Grâce à Gilbert Tyuienon l’ancien maire UC de Sarraméa a donc su retrouver un emploi. Il avait en effet été condamné pour prise illégale d’intérêt et corruption dans les années 2000 et déclaré inéligible par le tribunal.

• Des chauffeurs intérimaires ont effectué des service de lignes non encore attribuées pour 13,7 millions, c’est-à-dire qu’ils ont décidé eux-mêmes de se rendre à certains endroits et ont fait payer les voyageurs directement… (page 22 du rapport)

• Le RAI est structurellement déficitaire. Le marché de conduite étant supérieur aux frais de recette (pour 100 F versés par les usagers, le trajet revient à 112F) Depuis mars 2014, le SMTI a touché 2,179 milliards de francs d’argent public pour la mise en place du réseau RAI.

• Le nombre de création de poste a considérablement augmenté, les charges passant de 100 à plus de 180 millions (page 9 du rapport). D’autres embauches sont pourtant prévues.

• A ce jour, aucune comptabilité d’engagement n’existe pour piloter à court et moyen terme l’efficience financière (page 25 du rapport)

• Le déficit au 31/12/16 était de 115 millions auxquels il faut rajouter les factures que la structure n’a toujours pas payé à ses prestataires, soit environ 400 millions.

• Le budget 2017 est qualifié d’insincère.

• Les charges de personnels sont budgétisées à 180 millions alors qu’elles représentent 192 millions dans le rapport. Qui touche donc ces 12 millions restant non-inscrits ?

• Entre deux conseils d’administration, Gilbert Tyuienon a fait changer le budget. Le premier affichait des charges générales à 645 millions, mais une semaine plus tard il a fait présenter un nouveau budget dont les charges étaient passées à 973 millions…

• Les collectivités qui devaient donner 173 millions ont finalement dû verser 490 millions pour équilibrer les comptes…

• La marge des transporteurs est supérieure à 50%.

• Enfin, Gilbert Tyuienon et Richard Mardjoeki (le directeur du SMTI) ont refusé de communiquer les éléments comptables aux deux provinces Nord et Sud, pourtant actionnaires de l’organisme. Ils ont ensuite refusé de communiquer aux membres du conseil d’administration les résultats de l’audit comptable et les éléments mentionnés ci-dessus…

Beaucoup plus grave (si-si), le budget ayant déjà été qualifié d’insincère en 2016, il a été interrompu en septembre de l’année dernière par les experts comptables. Ainsi, les dirigeants du SMTI ont dit aux transporteurs que pour être payés d’octobre à décembre, ils seraient autorisés à se verser directement leur salaire grâce à leur caisse et à l’argent des usagers qui montent dans les bus. Les titres de transport étaient alors délivrés à bord des cars et directement encaissés par les chauffeurs qui les déduisaient (ou pas) de leur facture mensuelle. Le rapport met donc en avant le risque de détournement de recette et l’absence de visibilité des niveaux de celles-ci. Et c’est cette procédure totalement illégale qui a dernièrement fait réagir le Haut-commissaire de la République. Selon le haussariat, celui-ci a en effet porté plainte contre les dirigeants du SMTI au titre du contrôle de la légalité. L’instruction étant actuellement en cours, le tribunal va devoir se pencher sur ces possibles détournements de fonds et établir la liste des bénéficiaires du « système Tyuienon ».

Pour Gilbert Tyuienon, c’est aux Calédoniens de payer !

Bien conscient que tout son système ne perdurera pas indéfiniment de la sorte, le membre UC du gouvernement a donc demandé aux élus du congrès de faire passer tous les automobilistes Calédoniens à la caisse. Car, depuis la délibération du 27 décembre 2012, une part de la TPP (Taxe sur les Produits pétroliers) est affectée au réseau de transport urbain et donc, depuis sa création, au SMTI : 1F/Litre pour l’essence et 1.7F/Litre pour le gazole. C’est ainsi que pour régler ses petits problèmes de trésorerie et éviter la banqueroute, le maire de Canala a demandé en mars dernier lors de la commission des transports réunie au congrès que le prix de l’essence et du gazole augmente de 0.5F/Litre à 0.75F/ Litre. Le « pactole » issu de cette hausse des prix de l’essence étant alors totalement réaffecté au budget du SMTI. Une décision qui, pour l’instant, a été gelée puisque les différents acteurs du dossier attendaient les résultats de l’audit de KPMG… Pas sûr néanmoins que les élus voient aujourd’hui cette mesure d’un bon œil.

Le réseau RAI, un outil à des fins politiques ?

Mais ce qui transparait à la lecture de ce rapport, au-delà de la gabegie inhérente à certains élus et responsables politiques calédoniens, c’est l’utilisation du SMTI par Gilbert Tyuienon à des fins politiques. Non content de placer ses affidés, le vice-président de l’Union Calédonienne a en effet décidé seul l’ouverture de nouvelles lignes de bus, précisément vers des villages ou des tribus de l‘intérieur susceptibles de lui apporter ensuite leur soutien (électoral ?). C’est ainsi que même si la province des îles n’est pas actionnaire du SMTI et ne finance nullement le réseau de bus (qualifié pourtant d’interurbain !), Gilbert Tyuienon a décidé d’ouvrir à perte plusieurs lignes de bus sur les îles et notamment à Lifou (avec des marges de 58% sur chaque billet pour les transporteurs ; Cf. page 19 du rapport). Une façon peut-être bien commode – et à moindre frais – pour Gilbert Tyuienon d’obtenir bientôt les soutiens de grands électeurs de l’Union Calédonienne ? Possible. En bisbille avec Daniel Goa, l’actuel Président de l’Union Calédonienne, Gilbert Tyuienon prépare en effet sa candidature à la fin de l’année pour diriger l’UC. Et pour cela, il a vraisemblablement besoin de faire plaisir à certains grands électeurs du plus vieux parti calédonien… Gabegie, détournements de fonds, corruption, illégalités, passe-droit et incompétence : bienvenue au pays de l’UC ?