Sous les applaudissements, des indépendantistes du RIN ont évoqué le meurtre des futurs assesseurs de 2018…

Si les médias ont repris en boucle la demande du Rassemblement des Indépendantistes et Nationalistes de voir inscrits les seuls kanaks sur la liste électorale référendaire, la plupart de leurs déclarations n’ont pas été commentées. Mais lors de leur marche qui a réuni un millier de personnes, les intervenants du RIN ont multiplié les provocations ou les appels à la haine. Best-Off…

On connait depuis quelques années maintenant les discours proférés soit au Mwa ka, soit lors des défilés de l’USTKE par les indépendantistes les plus radicaux. Mais n’étant désormais plus soutenus officiellement par les membres du FLNKS et les principaux leaders indépendantistes, ces derniers semblent se radicaliser à mesure que leur nombre s’étiole. Ainsi, la marche « 2018, c’est possible » pour l’inscription automatique de tous les kanaks sur la liste électorale pour le référendum de 2018 n’aura cette année rassemblé, selon les autorités, que 1100 manifestants contre 1400 l’an dernier. A l’exception des élus du Parti Travailliste (Louis Kotra Uregei en tête) et de Sylvain Pabouty (seul élu de la Dynamik Unitaire Sud, un mouvement issu de la scission d’avec le Palika) aucun élu indépendantiste du congrès n’a en effet fait le déplacement dans les rues de Nouméa ce 19 juillet. Et pour cause puisque les propos tenus ce jour-là ont été, de mémoire de calédoniens, particulièrement provocateurs pour ne pas dire carrément flippants.

De « On vous emmerde » à « Tuer les assesseurs »…

Partant du Mwa Ka, les centaines de manifestants se sont en effet arrêtés devant la mairie de Nouméa, que beaucoup d’entre eux considèrent comme un symbole des loyalistes et du « pouvoir colonial ». Et c’est sous les fenêtres de Sonia Lagarde, la maire de Nouméa, que plusieurs d’entre eux se sont à tour de rôle relayés pour – il faut bien le dire – vomir sur la France et sur l’idée même du destin commun. Ainsi, comme le démontrent les vidéos mises en ligne sur les réseaux sociaux par le collectif, l’un des intervenants a été acclamé par les quelques centaines de personnes présentes lorsqu’il a expliqué ceci :

« Le fait qu’ils soient kanaks n’est même pas reconnu. Ils viennent d’ailleurs ceux qui ne sont pas d’ici pour dire que nos petits frères kanaks, les kanaks ils foutent la merde. Oui ! Nous foutons la merde ici ! Parce que c’est notre pays et on vous emmerde ! (applaudissements) On vous emmerde !! Et vous avez intérêt à vous tenir à carreaux avec nous (…) La France grand pays colonisateur et corrompu dans toutes les affaires, dans tous les combats sur la terre pour tuer des innocents ! Nous sommes chez nous dans notre pays et on vous emmerde !! (RIN, 19/07/17 ; Sources : Youtube) »

Un discours haut en couleur prononcé en plein centre-ville qui aura cependant réussi l’exploit d’être dépassé par celui d’autres intervenants. L’une d’entre elle, Florenda Nirikani, une militante très engagée dans la lutte indépendantiste (au point de s’être vue mise de côté par les élus du FLNKS) a ainsi apostrophé Sonia Lagarde et les élus non-indépendantistes. Au micro, elle a ainsi expliqué (toujours sous les applaudissements de la foule) que certains citoyens indépendantistes qui ne se sont jamais inscrits sur les listes– s’ils décidaient d’aller voter au référendum – pourraient aller « chercher un flingue » et « tuer les assesseurs » par colère devant l’impossibilité pour eux de voter ce jour-là :

« Imaginez-vous en 2018, tous vos assesseurs quand ils vont tenir le bureau de vote et qu’il y a un de mes frères qui va se réveiller, parce que pendant dix ans il aura fait que boire, et puis il s’est pas soucié de l’avenir de son pays parce qu’il avait trop de problèmes, il va se réveiller et il va dire : « punaise mais faut que j’exerce mon droit de voter, il faut que j’aille voter » hé ben il va se rendre au bureau de vote et puis on va lui dire « désolé vous êtes pas inscrit sur la liste de consultation pour le référendum ». Mais vous imaginez, le mec, il se réveille et puis il va se prendre pour Eloi Machoro et puis il va se dire mais c’est qui qui m’interdit de voter pour l’avenir de mon pays ? C’est qui qui vous dit qu’il va pas chercher une hache ou un flingue pour aller tuer, tuer les assesseurs (applaudissements…) Ces paroles là que je dis c’est des histoires que j’imagine, mais c’est des histoires qui peuvent aussi se produire… (Florenda NIRIKANI, 19/07/17 ; sources : Youtube) »

A noter qu’au-delà de cette charmante « histoire », les intervenants ont passé plus de temps à demander aux manifestants qu’ils soutiennent l’inscription automatique des seuls kanaks plutôt que de leur dire de faire les démarches administratives pour justement s’inscrire comme n’importe qui, kanak ou non*.

25.000 hier, 40.000 aujourd’hui, 1 million demain ?

S’agissant du nombre de non-inscrits sur les listes électorales calédoniennes, si l’année dernière, les organisateurs évoquaient le chiffre totalement farfelu de 25.000 kanaks non-inscrits, cette année, ils sont passés à 40.000. A ce rythme-là, l’année prochaine ils devraient donc être environ 80.000… Reste qu’un groupe de travail constitué de tous les mouvements politiques a été mis en place après le dernier comité des signataires (et dont font partie tous les membres du RIN !) et qu’il est chargé depuis décembre 2016 des questions électorales. Or, celui-ci, en utilisant tous les moyens et les informations à disposition des différentes administrations et collectivités locales n’a à ce jour identifié que 4628 Kanaks et 4097 personnes de statut de droit commun (donc non-kanaks) qui ne sont pas inscrites sur la liste électorale générale. Depuis lors, ces 8725 personnes (qui n’ont donc jamais voté à aucune élection d’aucune sorte) ont été approchées par les services publics pour les inviter à effectuer les démarches d’inscription. Un chiffre de 9000 personnes non-inscrites qui représenteraient environ 6% du corps électoral potentiel calédonien (sur 189.720 votant), lequel serait à rapprocher des 7% du corps électoral national (soit environ quatre millions de français**) qui ne sont pas inscrits sur les listes, et ce, sur l’ensemble du territoire national.

Les loyalistes : tous sur la même ligne pour dénoncer le RIN

Naturellement, du côté des mouvements non-indépendantistes on conteste formellement les chiffres du RIN. Dans un post, l’élu du congrès Philippe Blaise a d’ailleurs mis en avant leur caractère fantaisiste. Rappelant que le dernier recensement (2014) faisait état de 105.000 citoyens calédoniens d’origine kanak et que 68.000 d’entre eux avaient plus de 18 ans, l’élu a mis en parallèle les résultats des indépendantistes aux dernières élections (43.600 voix). Mathématiquement, avec 70% de taux de participation, il est impossible – explique-t-il – qu’il y ait plus de quelques milliers de personnes kanak non-inscrites. CQFD***. Et à l’instar de Calédonie Ensemble, les loyalistes rappellent que les experts de l’ONU dans leur dernier rapport de mission ont salué « des efforts importants qui ont été consentis dans le sens d’une recherche d’exhaustivité des listes et d’inclusion des électeurs, d’une part, et de la fiabilité de ces listes, d’autre part ». De même, le Rassemblement-Les Républicains estime que « la démarche du RIN ne constitue qu’une nouvelle surenchère à l’approche de l’échéance de 2018 ». Fustigeant la discrimination entre les Calédoniens prônée par le RIN, les mouvements loyalistes appellent donc ces indépendantistes à « plus de responsabilité vis à vis des enjeux qui nous attendent » et à cesser « d’entretenir l’agitation » sur le fondement de « chiffres manifestement erronés ». Cette demande d’inscription automatique est d’ailleurs aujourd’hui entre les mains du Conseil d’Etat. Mais, cependant, elle ne pourra aboutir que si ce sont tous les natifs du territoire (kanak ou non) qui sont finalement inscrits mécaniquement. Une demande formulée lors du dernier comité des signataires par Calédonie Ensemble. Et si le Rassemblement-LR privilégie « la démarche volontaire d’inscription sur les listes électorales », il avait toutefois demandé « en tout état de cause (…) qu’un traitement identique soit réservé à l’ensemble des natifs calédoniens ».

Inscrire de force, pour faire voter de force ?

Reste à savoir pourquoi les indépendantistes les plus radicaux sont à ce point arc-boutés sur cette revendication. Car si leur base peut ignorer la réalité des chiffres, leurs leaders savent bien que cette inscription automatique ne changera pas la donne. Tout d’abord parce que pour chaque électeur d’origine kanak nouvellement inscrit, il semble qu’un non-kanak le soit également et ensuite parce que leur nombre total est bien loin de celui espéré. Pas de quoi donc modifier donc les rapports de force non-indépendantistes / indépendantistes fossilisés à 60%/40% depuis plus de trente-cinq ans. Mais à la vue du ton et des méthodes employés par les différents intervenants du Rassemblement des Indépendantistes et Nationalistes lors de leur dernière manifestation, il semble bien que certains d’entre eux ont l’ambition de « faire voter » tous les kanaks de force. Ainsi, il est clair que celles et ceux qui ne se sont jamais inscrits sur les listes ont chacune et chacun leur raison propre. Et parmi elles, le fait que ni leurs élus (indépendantistes ou non) ni la cause même de l’indépendance ne les intéresse. Il est en effet évident qu’une minorité de calédoniens, de tous les horizons, n’en ont strictement rien à faire des élections depuis des décennies et n’ont tout simplement pas envie d’être inscrits sur les listes électorales. Mais dans une société ou le poids de la communauté prend parfois le pas sur les aspirations individuelles, il leur serait plus difficile à ceux-là d’éviter le scrutin, ce jour de novembre 2018.

* Pour s’inscrire sur les listes électorales, une pièce d’identité et un justificatif de domicile suffisent, à remettre au service des élections de la mairie de sa commune. Pour la ville de Nouméa : annexe de la mairie, 29 rue Jules Ferry – Ouvert du lundi au vendredi, de 7h15 à 17h. L’ensemble des non-inscrits ont jusqu’au 31 décembre 2017.

** Estimation issue d’une enquête de l’Express, 24/04/17 : Radiés des listes, mal-inscrits… ces Français qui ne voteront pas malgré eux.

*** d’autant que Sylvain Pabouty cite en plus 45.000 abstentionnistes kanaks. Ce qui ferait donc 43.000 votants + 45.000 abstentionnistes + 40.000 non-inscrits. Soit 128.000 kanaks alors que le pays ne compte que 68.000 personnes d’origine kanake de plus de 18 ans… Comme disait Muriel Robin : « Oups, ya une boulette là ! »