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Pourquoi se laisser spolier ? La montée inévitable d’une résistance fiscale en Nouvelle-Calédonie

L’État et la mairie du Mont-Dore ont récemment acté l’attribution de 5 millions de francs CFP pour financer un programme intitulé “Jeunesse et Cohésion sociale au cœur de la tribu de Saint-Louis“. Trois millions proviennent de l’État, via une convention signée avec la commune, et deux millions sont ajoutés par la municipalité. Officiellement, ce budget vise à “améliorer les perspectives d’avenir des jeunes” de cette tribu, après six mois de blocages, de violences et d’attaques qui ont paralysé la vie de milliers de citoyens du Mont-Dore.

Cette annonce a immédiatement suscité un raz-de-marée d’indignation sur les réseaux sociaux calédoniens. Comment justifier qu’une région qui a terrorisé la population, détruit des biens et paralysé l’économie locale bénéficie aujourd’hui d’un financement public supplémentaire ? Pour de nombreux habitants, ce n’est pas un programme d’investissement, mais une prime au blocage, un encouragement à la récidive. Mais ce rejet va bien au-delà du simple cas Saint-Louis. Il est révélateur d’un tournant majeur dans la conscience politique et fiscale des Calédoniens.

Ibn Khaldoun, prophète du fiscalisme étatique

L’immense Ibn Khaldoun (1332-1406), historien et précurseur de la sociologie, avait déjà observé ce phénomène dans ses analyses sur l’essor et la décadence des civilisations. Selon lui, les pouvoirs centraux ne chercheraient pas à imposer leur ordre aux criminels et aux rebelles. Ils préfèrent les acheter et les laisser tranquilles. En revanche, ils concentrent toute leur force et leur appareil répressif sur ceux qui paient l’impôt.

Dans son œuvre monumentale Al-Muqaddima, il explique ainsi que les impôts augmentent toujours sur les populations soumises, tandis que les tribus nomades et les délinquants échappent au contrôle du pouvoir central. L’empire ne réprime pas les pillards : il les paie juste pour qu’ils cessent leurs exactions afin de se concentrer sur l’exploitation des contribuables dociles.

Ce schéma se répète aujourd’hui en Nouvelle-Calédonie. Ceux qui saccagent et pillent sont exemptés de toute répression et reçoivent même des fonds publics. Pendant ce temps, les contribuables, artisans, entrepreneurs et salariés, qui respectent les lois et financent la puissance publique, subissent toujours plus d’impôts et de charges, sans jamais voir leur sécurité ou leurs droits garantis…

Le trauma du 13 mai : un déclencheur psychologique collectif

Ce rejet de l’impôt n’est pas qu’une réaction émotionnelle : il s’ancre dans une expérience vécue. Le 13 mai 2024, lorsque la Nouvelle-Calédonie a plongé dans le chaos, les citoyens ordinaires ont découvert qu’ils étaient totalement abandonnés par l’État. Ce soir-là et les jours suivants, des milliers de personnes ont tenté en vain de joindre le 17. Beaucoup ont entendu la même réponse : “Nous ne pouvons rien faire“, “Nous sommes débordés“, “Nous avons d’autres priorités“, alors même que leurs commerces brûlaient, que leurs véhicules étaient incendiés et que leurs familles étaient en danger. Les impôts qu’ils payaient, pensaient-ils, servaient à garantir la sécurité, la justice et l’ordre public. Or, pendant des jours entiers, ni la police, ni la gendarmerie, ni les secours ne sont venus les protéger. Ils ont vu leurs commerces incendiés, leurs voitures détruites, leurs maisons menacées… et l’État ne les a pas aidés. Puis, après plusieurs mois de souffrances, ces mêmes citoyens apprennent aujourd’hui que leurs impôts vont servir à financer ceux qui les ont agressés. Ce choc psychologique marque forcement une rupture irréversible.

Résistance fiscale : un phénomène qui dépasse la Nouvelle-Calédonie

Ce que nous voyons émerger ici est un changement profond de mentalité, qui n’est pas propre à la Nouvelle-Calédonie. Le même rejet de l’impôt et de l’injustice fiscale a explosé en France avec les Gilets Jaunes. La révolte contre la taxe carbone n’était qu’un prétexte : le vrai moteur était l’injustice perçue d’un État qui écrase ses citoyens imposables pendant qu’il subventionne d’autres groupes qui ne contribuent pas à l’effort commun.

Les commentaires des internautes calédoniens illustrent cette prise de conscience : “On nous taxe jusqu’à l’os pour payer ceux qui nous caillassent, c’est ça la justice républicaine ?” ou encore “Quand on bosse, on paye, mais quand on bloque et qu’on pille, on encaisse. On marche sur la tête !”. “Les Montdoriens ont perdu leur emploi, leur sécurité, leur tranquillité. Où est leur aide à eux ?” C’est pour cela que le parallèle est frappant : les citoyens qui travaillent, paient leurs impôts et respectent les lois sont pressurisés financièrement. Les groupes qui s’organisent dans la violence bénéficient de subventions et échappent aux conséquences de leurs actes. Or, ce schéma n’est pas soutenable à long terme. Partout où il s’est installé, il a conduit à des révoltes fiscales, des insurrections et des basculements politiques majeurs.

Vers une rupture irréversible ?

L’histoire nous montre qu’une fois la confiance entre les contribuables et la puissance publique brisée, elle ne se rétablit pas facilement. En Nouvelle-Calédonie, les premières graines d’une résistance fiscale sont en train de germer. Les réseaux sociaux débordent désormais d’appels à contester l’impôt, à organiser des actions de boycott fiscal, à exiger des comptes sur l’utilisation des fonds publics. Pour l’instant, ces idées restent à l’état diffus, mais leur progression apparait inévitable. Pourrait-elle se structurer en un mouvement concret, comme ce fut le cas en métropole avec les Gilets Jaunes ? Il est vrai que ce rejet de l’impôt trouve un écho particulier dans le contexte judiciaire récent. Le verdict du tribunal dans l’affaire des violences du 1er référendum de 2018, largement perçu comme trop clément, a renforcé ce sentiment d’injustice fiscale. Les victimes des exactions restent les oubliées du système, tandis que l’État continue de négocier avec ceux qui ont semé le chaos.

Un changement de paradigme ?

Cette montée du rejet de l’impôt n’est pas un simple coup de colère. C’est peut-être un tournant profond dans la mentalité calédonienne. Pendant des décennies, les citoyens ont accepté un modèle où les collectivités publiques redistribuaient les richesses et garantissaient un cadre de vie stable. Mais depuis le 13 mai, ce contrat social semble brisé. Les Calédoniens réalisent que l’État ne les protège plus (ou trop tard) qu’il ne les sert plus (ou très mal), et qu’il utilise souvent leur argent à des fins contraires à leurs intérêts. Face à cette spoliation organisée, la résistance fiscale apparaît non pas comme une option radicale, mais comme une réponse logique et inévitable.

Nous entrons peut-être dans une nouvelle ère : celle où les citoyens ne se contenteront plus de payer sans poser de questions. Une ère où l’impôt devra être justifié, et où les contribuables exigeront des comptes et la transparence totale des dépenses publiques. La parenthèse collectiviste post-Seconde Guerre mondiale se referme peut-être. En ce cas, ce qui s’annonce, c’est un retour à l’esprit pionnier, au choix des communautés de vie, aux liens entre individus libres. Et pour les politiciens et les technocrates encore accrochés à l’ancien monde, une question simple : quand la confiance dans l’impôt disparaît, combien de temps reste-t-il avant que toute la machine bureaucratique ne s’effondre ?

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Hubert B

Hubert B. a rejoint Calédosphère au tout début de l’année 2015. Enfant du pays, il a grandi à Nouméa et a ensuite bourlingué durant près de vingt ans au gré de ses envies et des hasards de la vie. Fils d’une bibliothécaire/documentaliste, il a été tour à tour enseignant, pigiste, formateur mais c’est finalement vers l’écriture qu’il a choisi de revenir. Succinct, précis, parfois laconique, si son style est volontiers direct, ses intérêts sont éclectiques et toujours tournés vers l’actualité. Sa citation favorite : « Le journaliste doit avoir le talent de ne parler que de celui des autres »

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ditou
ditou
Répondre à   Nogius
27 février 2025 16:30

Comme dirait Trump fake news !”

Puis je savoir pourquoi serait ce un fake news?.

ditou
ditou
22 février 2025 14:21

“L’État et la mairie du Mont-Dore ont récemment acté l’attribution de 5 millions de francs CFP pour financer un programme intitulé “Jeunesse et Cohésion sociale au cœur de la tribu de Saint-Louis“.” Je ne sais pas ce que vous comprenez, mais personnellement, je crois que çà doit être une demande des coutumiers. Peut être bien venant du Sénat coutumier. Si c’est le cas. Ils n’ont pas honte de favoriser seulement ceux de saint Louis. Tout le reste, donc l’Etat et la mairie n’est que fumée pour camoufler les véritables demandeurs. Même chez les kanaks qui ne font pas parti de… Lire la suite »

ditou
ditou
Répondre à   ditou
27 février 2025 16:14

Aucun souci pour moi, ces 5 millions n’iront pas à ce projet. Nous ne sommes pas dans une année de DON.”

https://www.lnc.nc/article/grand-noumea/mont-dore/saint-louis/politique/le-mont-dore-n-a-pas-octroye-de-subvention-a-la-tribu-de-saint-louis-assure-eddie-lecourieux

professeur Tournesol
professeur Tournesol
21 février 2025 20:44

Attaquer le principe de l’impôt est nauséabond, tout comme encourager sa contestation. L’utilisation qui en est faite, c’est criticable. Mais l’impôt est chose nécessaire. Et que les élus le gèrent est indispensable.

Clarkounet Gaybeulounet
Clarkounet Gaybeulounet
Répondre à   professeur Tournesol
22 février 2025 09:13

L’impôt est attaquable quand il ne concerne qu’une part de la population qui paie pour tous les autres, alors que ces derniers ont décidé de détruire le système.

Minie
Minie
Répondre à   Clarkounet Gaybeulounet
22 février 2025 09:36

CQFD

Naif
Naif
21 février 2025 10:39

Élections ce dimanche en Allemagne ça va tanguer L’AfD, parti d’extrême-droite Ce parti est né en 2013. Il se présente très vite comme un parti nationaliste, anti-Union européenne et anti-migrants. Six mois après sa création, il obtient 4,7% des voix, tout juste pas assez pour siéger au Bundestag. En 2017, l’AfD récolte près de 13% des suffrages et crée la surprise. En 2021, ce parti d’extrême droite recule à 10%. Mais aujourd’hui, il est accrédité de 20% d’intentions de vote. Il arrive donc en 2e position, derrière le CDU/CSU qui obtient 30% d’intentions de vote. Le SPD, avec 15%, complète… Lire la suite »

Naif
Naif
Répondre à   Naif
21 février 2025 10:40

Les européens se détournent de plus en plus de l extrême centre

Electron Libre
Electron Libre
Répondre à   Naif
21 février 2025 10:47

l’extrême centre = l’extrême vide devant le besoin de prendre position et d’agir devant la gravité des choses.

Naif
Naif
Répondre à   Electron Libre
21 février 2025 15:43

Les européens commencent enfin A comprendre le vide de leur pensée . Leur politique uniquement basée sur la com avec aucune prise sur le réel. Des milliards de dettes, une desindustrialisation à marche forcee, une forme de décroissance sous vernis d écologie, après avoir voulu fermer des centrales nucléaires pendant les années 2010, ont compris enfin l intérêt du nucléaire, espère acheter la paix sociale à coup de milliards, adepte de l immigration sans tenir compte de l avis de leur peuple, adepte de la dividende de la paix et donc de la baisse des crédits militaires à partir des… Lire la suite »

Clarkounet Gaybeulounet
Clarkounet Gaybeulounet
Répondre à   Naif
22 février 2025 09:14

Les fachouillards bandent.

Electron Libre
Electron Libre
Répondre à   Clarkounet Gaybeulounet
22 février 2025 12:12

Pendant que d’autres dorment…

Lemec Dici
Lemec Dici
20 février 2025 20:38

Merci pour cet article dont je partage l’esprit.

Electron Libre
Electron Libre
Répondre à   Lemec Dici
21 février 2025 10:20

Moi aussi.

oups2 x
oups2
20 février 2025 18:30

Ce blog à été racheté par C News?

Naif
Naif
Répondre à   oups2
21 février 2025 09:10

Ce blog est le reflet des réalités que les progressistes vont semblant de ne pas voir !! En parlant de progressistes avec leur moraline au bord des lèvres en voilà un qui nous dit chaque semaine pour qui ne pas voter et se prend pour un intellectuel de bac à sable ! Un progressiste dans toute sa splendeur ! L’audience de Christophe Dechavanne a eu lieu ce jeudi 20 février au tribunal correctionnel de l’Allier. L’animateur a été jugé pour “conduite en récidive en ayant fait usage de stupéfiants”. Il avait été arrêté par la police le 17 août 2024.… Lire la suite »

oups2 x
oups2
Répondre à   Naif
21 février 2025 16:30

Il y a des intellectuels de bac à sable, comme moi, selon tes affirmations et des intellectuels de haut niveau (toi) qui mêle tout et n’importe quoi , les péripéties de Dechavanne par exemple.
Honnêtement si tu te prends pour un intellectuels de haut niveau je te verrais plutôt comme un blablateur qui répète d’article en article le même créneau. Combien de temps tiendrais tu à une table à la recherche de solution.

Naif
Naif
20 février 2025 12:54

Nos élites progressistes font exactement la meme chose dans les banlieues francaise à coup de subventions en dépensant un pognon de dingue pour tenter d acheter la paix sociale. Ces investissements dans des infrastructures publiques sont un puit sans fond qui sont parfois brûlés dans des violences urbaines. Les zones rurales qui ne brulent pas de voitures à la moindre occasion ou ne font pas des emeutes sont les oubliés des politiques publiques. C est bien connu ! Et tout cette largesse avec les impôts des actifs qui ne demandent rien Ne parlons pas de l aide au développement car… Lire la suite »

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