NC1ère : Quand la comédie du statu quo masque l’affrontement à venir

Le plateau de NC1^ère était presque trop parfait. Un décor sobre, une lumière douce, une journaliste appliquée, studieuse et respectueuse. Et en face d’elle, deux hommes en représentation permanente, Philippe Gomès et Mickaël Forrest, récitant leur partition avec l’aisance de ceux qui ne sont jamais vraiment remis en question. Le spectateur, lui, n’a pas droit au choix. Il doit ingérer le plat qu’on lui sert, qu’il le trouve indigeste ou non. C’est légal après tout, l’Union Européenne a bien fini par valider le gavage… Focus sur les dessous d’un débat.

Ce n’était pas une discussion sur l’avenir, c’était une farce. C’était un simulacre, une mise en scène, une performance figée. Une de ces séquences politiques où l’on parle pour meubler, où les figures en place récitent un script sans conséquence. Mais le plus révélateur n’était pas tant ce qu’ils disaient, que ce qu’ils s’efforçaient d’éviter (voir l’encart en fin d’article). Ah, il fallait les voir : Forrest Baku-Man, ministre du gouvernement Mapou et du gouvernement Ponga, payé par nos impôts, expliquant posément qu’il faut encore “prendre le temps“, ne “pas se presser” pour “trouver les conditions d’un dialogue“. Le même Forrest qui, en septembre 2020, proclamait avec aplomb dans une vidéo Facebook : “Nous rappelons que nous avons cette conviction de faire accéder notre pays à sa pleine souveraineté et que nous continuerons tant qu’il y aura un Kanak, et nous le ferons pacifiquement !” En avril 2024, le même postait : “Ce n’est qu’un début“, en légitimant peut-être à l’avance ce qu’il avait participé à préparer. Et aujourd’hui, le revoici, par la grâce des équipes de NC1^ère, réhabilité publiquement sans condition, recyclé sans explication. Une incarnation vivante de la grande normalisation et de la grande dédiabolisation de la CCAT. Décidément, la radicalité n’est pas toujours là où l’on nous la désigne.

À ses côtés, Philippe Gomès, la Dalida calédonienne – éternellement en tournée d’adieu, mais incapable de quitter la scène, prêt à chanter encore un refrain que plus personne ne réclame. Il y a dix ans, il expliquait dans un entretien au Monde que “le dialogue est indispensable“. Dix ans déjà, ça passe. En 2018, il défendait devant l’Assemblée nationale l’idée que “sans accord, l’Accord continue“. Pratique. En 2022, après une sévère défaite électorale aux législatives, il dénonçait “l’attitude intransigeante des Loyalistes“, comme si son propre jeu d’équilibriste n’était pas le problème. Tout change, mais rien ne change. Les discours de Gomès et Forrest, c’est du Shakespeare inversé. Les mots sont beaux, les formules sont léchées, mais rien n’a de sens.

Belle marquise, vos beaux mots me font mourir… d’ennui

Les discours des Gomès et des Forrest, de tout cette caste accrochée au statu quo, c’est du Shakespeare inversé. Les mots sont beaux, les formules sont léchées, mais rien n’a de sens. “Nous devons avancer ensemble” nous dit Philippe Gomes en ce début d’année 2025. “Le dialogue est indispensable pour construire un avenir commun“, lui répond Mickaël Forrest. Cela rappelle l’immense sortie de Cynthia Liegard : “Il nous faut bâtir une paix durable par la négociation.” Presque aussi tonitruant que le célèbre : “Nous devons sortir par le haut ” d’Harold Martin, durant la saison 2013. Bien sûr, la base de cette réflexion avait été rappelée en 2016 par Manuel Valls – un précurseur ! : “L’accord de Nouméa est une étape qui doit nous mener à un nouveau consensus“, nous disait-il. Cependant, comme l’avait intelligemment fait remarquer Louis Mapou en 2022 : “L’important, c’est le dialogue.” Néanmoins, comment oublier la fulgurance d’un Edouard Philippe qui en 2018 nous clamait : “Les discussions doivent se poursuivre pour aboutir à un compromis historique”

Le lecteur aura compris par lui-même. Un copier-coller permanent, où seuls les noms changent. À ce niveau de récitation mécanique, on frôle la scène des Précieuses ridicules : “Belle Marquise, vos beaux yeux me font mourir d’amour“… ou comment aligner des mots creux avec une élégance artificielle, sans jamais s’attarder sur la seule question qui vaille. On pourrait croire à un épisode d’Un jour sans fin, où Bill Murray se réveillerait chaque matin dans une réunion du comité des signataires. Mais même lui aurait fini par se pendre avec son micro HF. Et pourtant, derrière cette fausse sérénité, le décor se fissure. Car en réalité, le grand affrontement se prépare.

Le vrai clivage : statu quo ou renversement de table

Le débat fondamental, celui que tous ces acteurs refusent d’admettre, n’est pas entre loyalistes et indépendantistes. Il apparait de plus en plus entre ceux qui, au sein de ces deux grandes forces, veulent maintenir le statu quo et ceux qui veulent en finir avec l’Accord de Nouméa. On pourrait présenter les choses ainsi :

1. Le camp du statu quo

Ce sont ceux qui vivent du système. Ils veulent prolonger la transition, parce que la transition est leur mode de vie. C’est l’État, dans ses profondeurs : toujours en quête d’un “compromis”, incapable de trancher, organisant une stagnation éternelle. C’est le FLNKS institutionnel : indépendantistes de carrière, financés par Paris, qui ne veulent surtout pas d’une rupture brutale parce que leur modèle économique repose sur l’argent de la France. Calédonie Ensemble et les “modérés” : fascinants dans leur capacité à ne jamais rien choisir, à appeler à “l’unité” pour masquer l’absence totale de vision. Ils sont prisonniers de l’ADN. Il leur offre des postes, du pouvoir, une stabilité artificielle. Les discours préformatés. Les avantages du pouvoir, sans les responsabilités qui en découlent. L’Accord de Nouméa est leur raison d’être : s’il disparaît, ils disparaissent avec.

2. Le camp du renversement de table

En face, il y a ceux qui veulent en finir avec le faux consensus. Les partisans d’un retour au droit commun : qui exigent la fin des statuts d’exception, du gel du corps électoral, et une normalisation complète. A ceux-là s’ajoutent les ultras du camp indépendantiste : qui refusent de jouer la comédie, qui ne croient plus à un “partenariat avec la France” et qui veulent une indépendance immédiate, même si elle est brutale.

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Ce sont ces deux forces qui vont s’affronter, chacune au sein de leur bloc électoral respectif comme les deux faces d’une même pièce. Le reste n’est qu’un décor, un théâtre pour maintenir l’illusion du “dialogue“.

L’État face à son propre piège

Le drame de la République en Nouvelle-Calédonie, c’est qu’elle a bâti un système qu’elle ne sait plus comment débrancher. L’État finance tout, contrôle tout, mais ne décide plus rien. Il paie les retraites, les salaires des fonctionnaires, les subventions aux collectivités locales… Via les institutions qu’il finance, il maintient en vie le tissu associatif et un modèle qui ne fonctionne que grâce à lui. Il espère un accord “historique” mais refuse d’admettre que l’histoire a déjà parlé avec trois référendums. La seule chose qu’il sait faire, c’est gagner du temps.

Le FLNKS : indépendantistes sans indépendance

Mickaël Forrest est lui l’archétype du dirigeant indépendantiste qui ne veut pas vraiment l’indépendance. Il ne parle que de “transition”, de “sécurisation”, de “temps nécessaire”. Il exige des droits régaliens mais veut que la France continue de payer. Il invoque la souveraineté, mais ne dit jamais comment financer un État indépendant sans transferts de Paris. En l’écoutant vraiment, attentivement, on comprend tout : l’indépendance est une posture, pas un projet. La vérité, c’est que le modèle actuel est leur garantie de survie politique et économique. Ils vivent de la rente institutionnelle. Ils refusent une rupture brutale, car ils savent que la Nouvelle-Calédonie ne survivrait pas économiquement sans la France.

Gomès et les modérés : l’éternelle illusion du compromis

Le grand drame de Gomès, c’est qu’il croit encore au mythe du “compromis raisonnable” à la Trudeau. “Sans accord, l’Accord de Nouméa continue” : c’est une phrase magique pour repousser l’inévitable. “Plus d’autonomie, plus de subventions” : la vieille promesse impossible à tenir. “L’important, c’est le dialogue” : comme si répéter cette phrase pouvait cacher le vide absolu de leur vision politique. Car le dialogue n’est pas le sujet. Il n’a pas évité les émeutes. Il n’a pas empêché les blocages. Il n’a pas réglé la question institutionnelle. Le camp du statu quo est à bout de souffle.

Ce qui arrive maintenant : les germes de l’affrontement

Nous ne sommes plus dans une phase de transition. Nous ne sommes plus dans un “temps de dialogue” puisqu’on a vu où il a fini. Nous sommes à la veille d’un autre affrontement, beaucoup plus politique et beaucoup plus profond. Les tenants du statu quo n’ont plus qu’un seul moyen de survivre : continuer la mise en scène, prolonger le spectacle, gagner du temps. Mais l’illusion se dissipe. Dans ce choc, l’État devra choisir. La neutralité n’est plus possible. La fin de l’Accord de Nouméa, c’est la fin d’un monde. Il est humain, parfaitement normal et naturel que ceux qui en ont bénéficié cherchent à le préserver. Mais ce n’est pas parce qu’ils veulent encore y croire que le décor tiendra indéfiniment. 

L’illusion ne tiendra plus très longtemps

NC1^ère peut continuer à organiser ces tables rondes, à aligner les mêmes visages, à nous resservir le même plat sous une nouvelle présentation. Mais le public n’y croit plus. À force de gavage, même les oies finissent par recracher. Nous ne sommes plus dans un film, nous sommes dans le dernier acte, celui où l’histoire bascule. La farce touche à sa fin, et les convives attablés à cette mascarade vont bientôt devoir affronter la réalité : le modèle actuel ne tient plus, de nombreux privilèges sont condamnés, et la question calédonienne devra être tranchée—dans la douleur ou dans la clarté. Ce n’est plus un débat, c’est un engrenage. Ce n’est plus une négociation, c’est une bataille idéologique. Et cette fois, il ne s’agira pas de savoir qui servira le prochain banquet, mais qui sera encore assis à table lorsque l’addition tombera.

📢 LA QUESTION À POSER A TOUS LES ELUS 📢

(Encart spécial : conseils aux journalistes)

LA question :

“Si le dialogue que vous prônez depuis des décennies fonctionnait réellement, pourquoi serions-nous encore sur ce plateau, en 2025, à tenir les mêmes discours qu’en 1998, en 2010 ou en 2018 ?”

➡️ Leur réaction putative ?

Le centriste : récitation d’une fable sur “la nécessité de poursuivre le dialogue” en espérant noyer le poisson.

Le FLNKS : tentative de diversion en parlant du “processus historique en cours” et des “liens avec les partenaires internationaux“.

Le représentant de l’État : gros soupir, regarde ses fiches et sort une phrase toute faite sur “l’importance du cadre institutionnel” et “le souci du maintien de l’ordre”.

L’expert de plateau : il détourne poliment le regard, baisse la tête, évite le malaise et passe vite à une autre question plus consensuelle…

Mais c’est là que le château de cartes s’effondre. Parce que personne, absolument personne, ne peut répondre honnêtement à cette question sans admettre que tout ce cirque n’est qu’une répétition sans fin, un scénario usé, un jour sans fin dont ils ne savent plus comment sortir. Alors, avis aux lecteurs : cette question leur sera-t-elle posée un jour ?