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Les gardiens de la mémoire sélective

Manuel Valls en Nouvelle-Calédonie, mais cette fois-ci la visite est discrète. Une réunion, une idée bien rodée : ouvrir les archives… des années 80. Mais pourquoi maintenant, après le chaos de 2024 ? Pourquoi exhumer un passé lointain tout en évitant soigneusement de questionner les erreurs des décennies récentes ? Derrière l’argument historique, une manœuvre politique.

Une réunion discrète, loin des regards. Un petit cercle d’initiés, entre gens du même monde. Un ancien élu, un professeur à la retraite, un militant associatif, un expert auto-proclamé. Pas un ouvrier. Pas un petit patron. Pas un indépendant. Ah, pardon. Il y a bien un éleveur. Un homme de la terre, un agriculteur. Bon, qui a aussi été élu pendant plus de vingt ans à la Chambre d’agriculture, dont seize passés à sa présidence. Un simple exploitant, donc. Comme tous les autres, évidemment.

Et puis, au centre de la photo, un visiteur de marque. Manuel Valls. Il est là, posé au milieu du groupe comme un vieil ami, venu écouter, venu soutenir. En métropole, il a disparu des radars. Mais ici, il trouve encore une assemblée pour l’accueillir, une poignée de fidèles pour l’écouter. Il vient parler d’histoire, de mémoire, de la nécessité de “faire la lumière” sur le passé. Il valide leur combat. Le sujet du jour ? L’Histoire. Enfin… une certaine version de l’Histoire. Dans leur esprit, elle n’appartient pas à ceux qui l’ont vécue. Elle leur appartient à eux, qui en décident l’accès et la lecture.

L’ouverture des archives : mémoire ou stratégie ?

Les voilà donc, réunis autour de cette idée lumineuse : ouvrir les archives des années 80 en Nouvelle-Calédonie. En voilà une idée qu’elle va bien nous servir. Pourquoi maintenant ? Pourquoi après 2024 ? Quarante ans plus tard, qu’y aurait-il encore à découvrir ? L’État mitterrandien aurait-il commis une nouvelle horreur qu’on ignore encore ? Ou bien s’agit-il d’autre chose ? D’un besoin de faire oublier 2024 peut-être ? D’un besoin de faire apparaître un autre coupable ? Tout est une question d’équilibre. Orwell l’avait prouvé, quand on perd du terrain dans le présent, on le reconquiert en réécrivant le passé.

Une seule pensée, un seul intérêt

Ceux qui militent aujourd’hui pour la “vérité historique” sont les mêmes qui refusent toute transparence sur les décennies récentes. Les subventions distribuées, les réseaux installés, les erreurs économiques passées sous silence : silence radio. L’opacité sur la gestion politique après 1998, les échecs des Accords de Nouméa ? Aucun intérêt. Les liens entre les dirigeants de la CCAT et certaines instances administratives régaliennes ou gouvernementales ? Tabou. Non, le passé qui les intéresse est toujours celui qui permet d’affaiblir l’État, le peuple Français et de redessiner les rôles du présent. Parce qu’en réalité, ils ne sont pas historiens, ils sont ingénieurs du pouvoir.

L’idéologie des intérêts

Karl Marx l’avait bien dit : on a toujours l’idéologie de ses intérêts. Ils le savent mieux que personne. Leur intérêt ? Maintenir leur place, leur rente, leur pouvoir d’influence. Leur idéologie ? Toujours la même : un socialisme fonctionnaire, élitiste et subventionné, où la mémoire est un outil politique et où seuls les initiés ont le droit d’en parler. Tout est là. Ils sont progressistes parce que leur statut dépend du progrès qu’ils définissent eux-mêmes. Ils sont pour la “vérité” tant que cette vérité les avantage. Ils sont pour la “décolonisation” tant qu’ils restent aux commandes de son processus. Et surtout, ils sont d’autant plus féroces à défendre cette posture qu’ils n’ont jamais rien eu à craindre de la réalité.

Le jeu des élites déconnectées

Parce que dans leur monde, il n’y a pas de petits patrons qui tentent de survivre. Il n’y a pas d’ouvriers usés par le système. Il n’y a pas de patentés sans travail. Il n’y a pas de Calédoniens épuisés par des décennies de manipulations politiques. Il n’y a que des experts, des intellectuels, des retraités de la cause. Les mêmes qu’on retrouve dans chaque colloque, chaque rapport, chaque grande consultation. Les mêmes qui parlent toujours entre eux, jamais avec les autres. Et qui, au fond, savent que l’histoire qu’ils écrivent ne leur servira qu’à une seule chose : maintenir leur pouvoir, à défaut de maintenir un peuple.

La vérité ou l’instrumentalisation ?

S’ils voulaient la vérité historique, ils demanderaient aussi la déclassification des archives récentes, celles des années 90-2000, pour voir comment la Calédonie a été gérée politiquement et économiquement sous l’ère des Accords de Nouméa. Déclassifions donc le processus d’achat du massif de Koniambo. Non, ça n’intéresse personne ? Dix milliards de dollars, pourtant. Mais il semble que certaines pages de l’Histoire doivent rester closes. Et la mort d’un journaliste ? Un homme qui travaillait dans les médias, en lien avec des figures politiques et financières bien identifiées. Un homme qui flambait tout, qui était gourmand, entouré de ceux qu’il fallait. Jusqu’au jour où il n’était plus là. Retrouvé pendu, la veille de l’arrivée de sa fille. Aucune enquête. Aucune question. Silence total. Comme si, là encore, il valait mieux oublier.

S’ils voulaient le bien commun, ces personnalités « qualifiées » seraient accompagnées de figures du monde économique, de syndicalistes ouvriers, de chefs de tribu, de personnes qui ont subi ces périodes. Mais ce n’est pas la vérité qu’ils recherchent. Seulement celle qui les arrange. S’ils étaient sincères, ils ne surgiraient pas pile au moment où les indépendantistes sont en difficulté après leur échec stratégique en 2024. Ce n’est pas une quête de vérité, mais une tentative de prise d’avantage dans le présent à travers le passé.

Ils pensaient pouvoir réécrire l’Histoire, comme d’habitude.

Ils pensaient que personne ne leur rappellerait leurs propres contradictions.

Ils pensaient qu’on allait, encore une fois, les laisser faire.

Ils n’ont pas l’habitude ?

Ça s’appelle une droite.

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JNC

Ancien journaliste, aujourd’hui à la retraite, JNC a été l’un des tous premiers contributeurs officiels du média. Curieux, travailleur, attentif aux soubresauts de l’actualité, il sait conserver une certaine distance vis-à-vis de ses sujets. Volontiers pédagogue, jamais caricatural, souvent indigné, il conserve intact sa capacité à remettre en question la société calédonienne qu’il connait et décrit au jour le jour. Son crédo : « c’est l’actualité qui décide, pas nous »

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