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Quand la réécriture devient recul : le pari dangereux de Calédonie Ensemble
Philippe Gomes a profité du débat au Congrès sur le report des provinciales pour plaider l’idée d’un “complément” à l’accord de Bougival. Selon lui, il faudrait “éclairer, préciser, compléter et enrichir” le texte, notamment sur le peuple kanak, l’identité et les compétences régaliennes. Mais derrière cet euphémisme, c’est une réouverture en bonne et due forme. Et dans l’histoire calédonienne, chaque réécriture a toujours marqué un recul. Risque.
Nous avons toujours écrit ici que l’accord de Bougival était un mauvais accord. Parce qu’il était fragile, parce qu’il ne rassemblait pas ceux qui comptent vraiment, parce qu’il reposait plus sur une mise en scène parisienne que sur un consensus réel. Le congrès extraordinaire de l’Union calédonienne l’a confirmé un mois plus tard : « le projet d’accord de Bougival a été rejeté formellement ». Voilà la vérité politique.
Aujourd’hui, Calédonie Ensemble, par la voix de Philippe Gomes, propose d’y ajouter un « complément ». Traduction : réécrire un texte déjà fissuré pour tenter de convaincre ceux qui l’ont rejeté. Mais rouvrir un accord n’est pas le renforcer. C’est le fragiliser encore davantage.
Un accord déjà fragile
Contrairement aux accords de Matignon, d’Oudinot ou de Nouméa, le texte de Bougival porte en lui des ambiguïtés majeures. Ses négociateurs se sont engagés non pas à ratifier mais à « présenter et défendre le texte de l’accord en l’état ». Une formule inédite, qui renvoie à l’idée que chaque délégation devait ensuite retourner devant ses instances pour obtenir validation.
Or cette validation n’a pas eu lieu : l’UC a rejeté le projet. Et pour la première fois, le texte publié au Journal officiel l’a été sans noms de signataires, contrairement aux accords de Nouméa en 1998. C’est un symptôme clair : juridiquement, le processus est enclenché ; politiquement, il reste incomplet.
Le pari de Calédonie Ensemble
Philippe Gomes et son parti expliquent qu’un « complément » pourrait « éclairer, préciser, compléter et enrichir » le texte sur certains points sensibles. Notamment « sur le peuple kanak ou l’identité kanak », ou encore sur les modalités de sortie de l’accord et l’exercice des compétences régaliennes. L’idée : lever les ambiguïtés pour ramener l’Union Calédonienne dans le jeu.
Sur le papier, cela peut sembler raisonnable. Dans la pratique, c’est tout l’inverse. Car ce « complément » revient à rouvrir une négociation que les Loyalistes veulent tenir « en l’état ». On prétend réparer, mais on fragilise.
Pourquoi la réécriture devient recul
En cas de “réouverture” de Bougival, trois conséquences sont inévitables :
- Procédurale : ajouter des lignes, même sous le masque du « complément », c’est une renégociation déguisée. Cela contredit la clause même de Bougival, qui parlait de défendre le texte « en l’état ».
- Calendaire : chaque retouche entraîne de nouveaux délais. Les élections provinciales ont déjà été reportées. Un « complément » ouvre la voie à de nouvelles attentes, de nouvelles discussions, et donc à l’allongement d’un calendrier déjà illisible.
- Politique : plus on rouvre, plus les acteurs radicaux s’engouffrent. L’histoire calédonienne l’a montré : chaque vide, chaque ambiguïté, nourrit la surenchère. Gomes croit acheter du consensus ; en réalité, il alimente la division.
Un auditeur de RNC1ère le résumait la semaine dernière : « Voilà le problème de la Calédonie : la qualité du personnel… on met n’importe quoi et n’importe qui, c’est que du copinage. » Quand ceux qui gouvernent proposent de rafistoler au lieu d’assumer, ils prouvent à l’excès ce déficit de niveau.
Le paradoxe
La position de CE est en réalité un aveu d’échec. Dire qu’il faut compléter l’accord, c’est reconnaître qu’il est bancal. Et pendant que CE joue au correcteur de texte, les Loyalistes répètent de leur côté qu’il faut « défendre l’accord en l’état ». Deux lignes incompatibles. Deux récits qui fracturent le camp même qui prétend défendre Bougival.
Résultat : loin d’un consensus, le camp pro-Bougival s’éparpille. Les uns veulent bouger les lignes, les autres veulent les geler. Quant à l’UNI et à l’Eveil Océanien, ils attendent tous deux de savoir vers quel côté l’histoire penchera. Et loin d’eux, les Calédoniens regardent leur classe politique s’enliser.
Pour la clarté et la vérité
Nous ne défendons pas Bougival. Nous l’avons dit et écrit : c’est un mauvais accord. Mais on ne défend pas non plus les rafistolages. On ne complète pas un texte fragile ou bancal. S’il l’est, on l’enterre ou on le rejette.
Alors posons la seule question qui vaille : Calédonie Ensemble est-il prêt à publier noir sur blanc ce « complément » ? À en préciser les formulations, le calendrier, le coût politique et économique ? S’ils le font, chacun jugera sur pièces. S’ils ne le font pas, alors on appellera les choses par leur vrai nom : un accord raté, aggravé par un recul supplémentaire.
Quand on rouvre un accord – réfuté par l’adversaire – parce qu’il est censé apaiser, on ne fait pas la paix : on prolonge la guerre par d’autres moyens. Calédonie Ensemble prend un pari dangereux. Et ce sont les Calédoniens qui le paieront.

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