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Ils se souviennent de 1853, mais effacent Charlyne et le 13 mai

Ils invoquent 1853, 1878, 1984 et 1988 à chaque discours. Mais dès qu’on parle du 13 mai 2024, il faudrait se taire. L’histoire lointaine est brandie comme mémoire sacrée ; le présent, lui, est nié. Le cas de Charlyne, 29 ans, prostituée depuis l’insurrection, résume cette hypocrisie : on se souvient des morts anciens, mais on efface les vivants abîmés d’aujourd’hui. Déni.

Elle a 29 ans. Deux enfants. Un téléphone fissuré posé sur une table basse. Dans sa chambre de Montravel, où les plâtres tombent des murs, Charlyne vit désormais de la prostitution. « Ce n’est pas une vie, c’est une survie », dit-elle, les yeux baissés. (La Dépêche de Nouméa, 13 septembre 2025).

Depuis les émeutes du 13 mai, tout a basculé : son snack détruit, son emploi perdu, ses économies envolées. Alors elle s’est mise en ligne. Cinq mille la passe en voiture, dix mille au domicile d’un client.

« La première fois, j’ai pleuré tout le long. »

Des hommes mariés, des ouvriers, des cadres, des jeunes, des vieux — peu importe. Tous savent qu’elle n’a pas le choix. C’est glaçant. Et c’est aussi un miroir : celui d’un pays où une mère en vient à vendre son corps pour nourrir ses enfants.

Quand les commentaires révèlent le déni

Sous l’article, les réactions affluent. Et elles en disent long. « Arrêtez de parler du passé. » ; « La prostitution a toujours existé. » ; « Le 13 mai n’a rien à voir. » ; « On n’est pas des crevettes à avancer à reculons. » Voilà ce qu’on lit, noir sur blanc, sur les réseaux sociaux. Voilà ce que certains militants indépendantistes osent écrire.

Ce n’est plus seulement nier un lien de causalité. C’est nier l’évidence. Une jeune serveuse a perdu son travail parce que la ville a brûlé en mai. Elle s’est retrouvée sur le trottoir quelques semaines plus tard. Mais non : « ça n’a rien à voir ».

On croit rêver.

Mémoire sélective

Et pourtant. Ces mêmes voix ne cessent de convoquer le passé. 1853, l’annexion. 1878, la révolte. 1917, la guerre. 1984 et 1988, les morts de la crise. À chaque discours, les dates sont martelées. On nous intime de « ne jamais oublier ». On nous accuse de « nier l’histoire » si l’on ose discuter des faits.

Mais dès qu’il s’agit du 13 mai 2024, tout change. Il faudrait « tourner la page ». Ne pas « avancer à reculons comme des crevettes ». Effacer l’insurrection ratée, comme si elle n’avait jamais existé. Autrement dit : le passé, s’il est glorieux, est sacré. Le passé récent, qui gêne, doit disparaître.

Le mécanisme glaçant du déni

Ce n’est pas une simple incohérence. C’est une stratégie. Car admettre que le 13 mai a mené à ça — à une mère de famille prostituée —, ce serait admettre l’échec d’un mouvement.

Le plus glaçant, c’est que ce déni n’est pas marginal. Il est collectif. Il attire les plus fragiles, ceux qui préfèrent l’illusion du récit à la brutalité du réel. C’est la mécanique des extrêmes : comme aux États-Unis, où certains militants nient la réalité pour s’enfermer dans leur vérité parallèle.

Et pendant que les militants indépendantistes se rassurent entre eux — « la prostitution a toujours existé », « ça n’a rien à voir » —, la population ordinaire voit ce que tout le monde voit : une femme détruite, des gosses perdus, une société abîmée.

Le 13 mai n’a pas disparu

La vérité, c’est qu’on ne nie pas seulement les conséquences. On nie la tentative de coup d’Etat elle-même. Parce qu’elle a échoué. Parce qu’elle a été un fiasco. Parce que, loin d’avoir « libéré » quoi que ce soit, elle a produit des ruines, du chômage et du désespoir.

Alors on efface. On parle de 1853, on brandit 1984, mais on supprime 2024. On glorifie l’histoire lointaine, on efface le désastre proche.

L’histoire sélective est un mensonge

Le commentaire qui résume tout, c’est celui-ci : « On n’est pas des crevettes à avancer à reculons. » Ah bon ? Mais avancer en brandissant 1853, 1878 et 1984, ce n’est pas reculer ? La vérité, c’est que du côté de l’indépendance kanak socialiste, on recule quand ça arrange. Et qu’on efface quand ça dérange.

On peut falsifier les dates. On peut relativiser la prostitution. Mais on ne peut pas effacer le réel. Et le réel, c’est une mère de 29 ans qui dit : « Ce n’est pas une vie, c’est une survie. » Ce n’est pas une légende coloniale. Ce n’est pas un fantasme d’archives. C’est la Nouvelle-Calédonie d’aujourd’hui.

 

 

Mise à jour

Depuis la publication du portrait dans La Dépêche, Charlyne a été prise en charge. C’est un entrepreneur local qui lui a proposé un emploi et une sortie de la prostitution ainsi qu’une aide concrète pour elle et ses enfants.

L’ironie est cruelle : Charlyne a été jetée dans l’enfer de la survie par ceux qui proclamaient vouloir la « libérer ». Elle est sortie de cet enfer par ceux que l’on accuse « d’exploiter ».

Ainsi va la vérité nue : ce ne sont pas les slogans qui nourrissent une famille, mais la main tendue d’un homme juste qui choisit de faire le bien.

 

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Hubert B

Hubert B. a rejoint Calédosphère au tout début de l’année 2015. Enfant du pays, il a grandi à Nouméa et a ensuite bourlingué durant près de vingt ans au gré de ses envies et des hasards de la vie. Fils d’une bibliothécaire/documentaliste, il a été tour à tour enseignant, pigiste, formateur mais c’est finalement vers l’écriture qu’il a choisi de revenir. Succinct, précis, parfois laconique, si son style est volontiers direct, ses intérêts sont éclectiques et toujours tournés vers l’actualité. Sa citation favorite : « Le journaliste doit avoir le talent de ne parler que de celui des autres »

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Rocky Siffredo
Rocky Siffredo
19 septembre 2025 06:45

Le double langage, le triple langage des kanaks.
La valeur à géométrie variable de la parole donnée… “Oui, j’ai dit ça hier, mais c’était hier… ”
Le révisionnisme érigé en mode de pensée, chacun sait n’est-ce pas que les Lapitas se sont sublimés, ils se sont évaporés… (On sait aussi qu’on peut acheter un scientifique aussi facilement qu’on achète un politicien.)

Et les salauds qui ont tué des gendarmes par traîtrise à Wadrilla en 1988 étaient de “paisibles pêcheurs qui se sont fait prendre dans un engrenage tragique”… fumiers, va…

Etc…

“Terre de parole”?

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