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Kanaky du loyer, Kanaky de la lutte
“La France occupe, donc elle paie.” En une phrase, tout le pays s’est trahi. Voici comment la Kanaky de la lutte est devenue la Kanaky du loyer. Eclairage.
Sur les réseaux, les phrases circulent désormais de façon totalement assumée. “La France occupe, elle paie.” Ou encore : “Elle règle son loyer au propriétaire.” Quelques mots, postés sous une publication anodine sur la dette de la Province des Îles Loyauté. Et pourtant, tout est là. Tout ce que la Calédonie vit, tout ce qu’elle subit, tout ce qu’elle ne veut plus voir.
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Le renversement
Autrefois, le Kanak revendiquait la dignité par la lutte. Aujourd’hui, il revendique la rente par le titre. Autrefois, la révolte disait : “Nous ne voulons plus être des dépendants.” Aujourd’hui, elle dit : “Vous occupez, donc vous payez.”
C’est un renversement silencieux, presque indolore. La décolonisation s’est muée en relation de bail. Et la fierté d’un peuple s’est transformée en quittance mensuelle.
Le colonialisme budgétaire
Chaque année, la France transfère vers la Nouvelle-Calédonie environ 320 milliards de francs — salaires publics, prestations, subventions, dotations. Ces chiffres sont connus, mais ce qu’on ne dit jamais, c’est ce qu’ils produisent : une dépendance morale.
Ce n’est plus la France qui colonise par la force, c’est la Nouvelle-Calédonie qui se colonise par la demande. La tutelle ne s’exerce plus depuis Paris : elle se reproduit ici, dans les mentalités, par le réflexe du chèque. Nous avons inventé le colonialisme budgétaire : une société qui dénonce sa domination tout en vivant de sa prolongation.
La Kanaky du loyer
C’est la Kanaky des transferts automatiques, des budgets votés à l’unanimité parce que “l’argent vient de l’État”. C’est la Kanaky du “nous sommes propriétaires du pays”, mais qui ne paie jamais son propre toit. Celle qui transforme la dépendance en revendication, le déficit en droit coutumier.
Dans cette logique, la France n’est plus perçue comme un partenaire, mais comme un locataire condamné à payer pour avoir le droit de rester. C’est la même phrase, répétée dans chaque conversation : “Tant qu’elle occupe, elle paie.”
Mais si la France paye, qui travaille ? Et si la France s’en va, que devient ce pays sans revenus, sans base productive, sans autonomie réelle ?
La Kanaky de la lutte
Face à cela, il reste une autre Kanaky — plus silencieuse, plus pauvre peut-être, mais vivante : celle des terres cultivées, des jeunes qui refusent la dépendance, des coutumiers qui savent encore que “le respect vient du travail”.
C’est la Kanaky des mains, pas des comptes. Celle qui ne réclame pas un loyer, mais une place dans l’avenir. Elle n’a pas besoin de haine, ni de tutelle. Elle sait que la liberté ne se paie pas : elle se gagne.
Le divorce moral
Entre ces deux Kanaky, le fossé s’élargit :
- d’un côté, la Kanaky du loyer, qui s’accommode du confort budgétaire et du discours victimaire ;
- de l’autre, la Kanaky de la lutte, qui comprend que la vraie souveraineté ne se signe pas à Paris mais se bâtit ici, dans les champs, les écoles, les ateliers.
Et ce fossé, c’est aussi celui de la Calédonie tout entière. Nous sommes devenus un pays schizophrène : souverain dans les mots, assisté dans les faits.
L’épreuve qui vient
Quand les transferts cesseront — et ils cesseront — le pays sera nu. Ce jour-là, la Kanaky du loyer disparaîtra avec la République qui la nourrissait. Mais la Kanaky de la lutte, elle, restera debout. Parce qu’elle sait que l’avenir ne se mendie pas : il se mérite.
Le colonialisme militaire a produit des révoltes. Le colonialisme budgétaire produira des ruines.
Entre les deux, il y aura peut-être une renaissance — celle d’un peuple qui aura compris que la dignité ne s’achète pas au guichet de la CAFAT, mais se conquiert, jour après jour, sur sa propre terre. La dépendance n’est pas un état politique : c’est une habitude morale.
