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Le doudou politique

Comment l’Accord de Nouméa est devenu la peluche d’une génération.

Il y a des images qui ne trompent jamais. Un enfant a peur, il serre son doudou. Il s’y accroche, il le renifle, il ne veut pas s’endormir sans lui. Et si on essaie de le lui enlever, il hurle – pas parce que le doudou vaut quelque chose, mais parce qu’il remplace le courage qui manque.

Depuis vingt ans, la vie politique calédonienne, c’est exactement ça. Le pays est rempli d’adultes en costume qui parlent comme des enfants perdus, chacun avec sa petite peluche : l’Accord de Nouméa. Pas une stratégie. Pas un cap. Pas une vision : Un doudou.

Un bel objet mou, vaguement réconfortant, qui éloigne les angoisses et évite d’affronter le réel.

Le doudou préféré de la caste

Pendant deux décennies, l’Accord de Nouméa a servi à tout : calmer les crises, éviter les décisions difficiles, repousser le moment du courage, dire “on verra plus tard”. Il est devenu la sucette institutionnelle d’une génération. Un objet transitionnel pour responsables anxieux.

Chacun en a gardé un petit morceau :

Les Loyalistes : “ Paris nous tiendra la main tant qu’on le supplie assez.

Calédonie ensemble : “Si on parle doucement, tout le monde finira par s’aimer.”

L’Éveil océanien : “Pas de bruit, pas de vagues, mettons une couverture.”

Le Palika : “Un jour, tout cela nous mènera quelque part – pourvu qu’on ne force rien.

L’UC : “L’indépendance attendra ; l’essentiel, c’est que la rente continue.”

L’État : “Une mission de plus et tout ira mieux.”

Tous réunis autour du même doudou élimé. Un pays entier rassuré par une peluche.

Le mantra qui trahit tout

Et puis, il y a la phrase que l’on entend partout – répétée comme un rituel de réassurance : « L’Accord de Nouméa doit être le plancher des discussions. » Un plancher. Vraiment ? Un plancher, ça sert à marcher. À avancer. À prendre appui. Pas à le caresser comme une relique. Pas à l’enlacer comme une peluche qu’on traîne au lit.

Quand un responsable politique répète ça, il ne dit pas : « Le plancher nous portera. » Il dit : « S’il vous plaît, ne me retirez pas mon doudou. » C’est de la succion de pouce institutionnelle.

Pourquoi le doudou tombe maintenant

Ce n’est pas une rupture idéologique. Ce n’est pas une conversion soudaine au réalisme. Ce n’est même pas un acte de courage. C’est plus simple : le réel a arraché le doudou des mains de tout le monde.

Parce que : la dette française explose, les transferts fondent, la CAFAT vacille, le nickel s’effondre, Bougival se délite, Paris décroche, l’économie gémit, et la population n’y croit plus.

La génération du doudou n’a pas été battue politiquement. Elle a été rattrapée par les faits. Le réel gifle parfois mais il ne prend personne dans ses bras.

Les enfants politiques

Soyons clairs. La classe politique calédonienne n’a pas été mauvaise. Elle a été infantile. Il y a eu des figures courageuses, mais trop souvent isolées. Le reste ? Des enfants doués, parfois brillants, souvent sincères – mais des enfants quand même.

Avec leurs symptômes : peur du conflit, dépendance affective à Paris, addiction aux subventions, recherche frénétique de consensus mous, évitement permanent des choix, incantation au “calme” comme si ça suffisait.

Ils ont fait ce que font les enfants : demander encore un peu d’aide, encore un peu de temps, encore un peu d’argent. Et nous, collectivement, nous avons laissé ça durer vingt ans.

Le basculement 2024–2025

Puis mai 2024 est arrivé. Puis l’effondrement économique. Puis le chaos institutionnel. Puis un compromis bâclé auquel personne ne croit vraiment. Le pays a touché le sol. Et un pays qui touche le sol… lâche sa peluche.

Ce qui se passe en ce moment n’est pas politique. C’est psychologique. Le pays quitte l’enfance. Pour la première fois depuis vingt ans, il demande autre chose que des bras rassurants : de la visibilité, des décisions, une colonne vertébrale, des institutions qui fonctionnent, des responsables qui ne tremblent pas.

Le pays ne cherche plus un consensus : il cherche des adultes.

Le moment adulte

L’Accord de Nouméa a eu sa beauté. Il a eu sa nécessité. Il a eu sa noblesse. Mais ce qu’il est devenu… Ce n’est plus une architecture. C’est une peluche. Et un pays qui s’accroche à une peluche ne traverse aucune crise. Un pays ne se reconstruit pas avec un doudou, mais avec du courage.

La génération des enfants politiques s’éteint. Celle des adultes arrive – pas par héroïsme, mais par nécessité. Le temps des doudous est fini. Le réel commence. Le pays se redresse.

Parce que, parfois, grandir n’est pas une décision : c’est une obligation.

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