La dette commande. Bougival obéit.

On nous parle chaque jour de Bougival. On nous promet des cartes institutionnelles, des équilibres constitutionnels, des majorités à Versailles. Comme si tout cela tenait encore debout. La vérité est ailleurs, plus simple, plus brutale : ce qui commande l’avenir de la Nouvelle-Calédonie, ce n’est pas l’Accord de Bougival. C’est la dette publique française.

Chaque année, la France produit environ 2 800 milliards d’euros de richesses. L’État en prélève 1 700 milliards : impôts, charges, cotisations. Avec cela :

• il redistribue 1 200 milliards (retraites, santé, chômage, aides diverses),
• il dépense 500 milliards pour lui-même (fonction publique, agences, collectivités),
• et il doit emprunter 300 milliards supplémentaires pour boucler ses fins de mois et maintenir un semblant de croissance.

300 milliards par an. C’est le PIB de la Grèce. L’État français n’équilibre plus aucun budget. Il empile, il compense, il emprunte. Il survit à crédit. Et cette fuite en avant n’a qu’un horizon : la crise. Car ce Léviathan bureaucratique vit au-dessus de ses moyens depuis plus de quarante ans.

8 septembre : le compte à rebours

Le Premier ministre François Bayrou a choisi de jouer gros : il engage la responsabilité de son gouvernement sur sa ligne budgétaire. Juste avant que n’éclate la crise de la dette – qui est l’œuvre des siens – il veut partir en sage qu’on n’a pas écouté. En vérité, François Bayrou s’en va comme il a gouverné : dans l’impuissance, la lenteur et la prétention. Cette fin n’est pas injuste, elle est logique — celle d’un pouvoir qui a confondu modération et absence, et qui croyait que différer, c’était tenir.

Reste que cette manœuvre est aussi un aveu. Bayrou sait que le vrai calendrier, celui qui compte, n’est pas institutionnel. C’est celui des marchés financiers et des agences de notation. Or, si la confiance tombe, le budget tombe. Si le budget tombe, le gouvernement tombe et avec lui, tout l’agenda institutionnel : Conseil d’État, Congrès, Versailles, référendum. En clair : si la France craque, Bougival s’évapore.

La Calédonie suspendue

Situation préoccupante, car la Nouvelle-Calédonie reçoit chaque année 1,5 milliard d’euros de transferts structurels : salaires des fonctionnaires d’État, éducation, sécurité, justice, contrats de plan. Depuis l’insurrection de mai 2024, elle a reçu 1,5 milliard supplémentaire en aides exceptionnelles : reconstruction, protection sociale, soutien aux communes. 3 milliards d’euros par an. Soit plus de 350 000 francs par habitant.

C’est cela, la rente calédonienne. Pas le nickel. Pas les monopoles. Pas l’illusion Bougival. La rente, c’est la dette française. Et si la dette devient insoutenable, cette rente peut disparaître. Du jour au lendemain.

Bougival, ou l’art de gagner du temps

Bougival, c’est un texte qui repousse les problèmes. On ne règle pas la question de la paix : on la reporte en contournant l’adversaire. De même, on ne règle pas la question de la dette : on la maquille. En Nouvelle-Calédonie et dans l’outre-mer français règne la même logique qu’à Paris : “encore quelques instants, Monsieur le bourreau.” Mais cette fois, le bourreau s’appelle la réalité budgétaire. Et il ne prévient pas avant de frapper.

Le risque du “Liz Truss moment”

En 2022, le Royaume-Uni a vu son gouvernement s’effondrer en six jours après un budget jugé irréaliste. Les taux ont explosé, la livre a chuté, et la Première ministre a été éjectée. La France est aujourd’hui plus fragile que le Royaume-Uni :

• déficit structurel plus élevé,
• besoins d’emprunts colossaux,
• dette détenue à plus de moitié par des étrangers.

Un “accident de crédit” n’est pas une hypothèse théorique. C’est une possibilité très concrète, en 2026 ou avant.

La question que chacun doit se poser

Alors posons la vraie question : La Calédonie a-t-elle un avenir adossé à une rente qui n’existe que par l’endettement d’un autre ? Bougival ne répond pas à cette question. Le vrai calendrier, c’est celui de la dette française. Et il s’impose à tous : à Paris, à Nouméa, aux loyalistes comme aux indépendantistes.