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Le pouvoir change de rive
Comment le centre de gravité kanak glisse du FLNKS vers la coutume
En surface, rien ne change. En profondeur, tout se déplace. La Calédonie vit une recomposition silencieuse : le pouvoir kanak glisse du front politique vers la coutume. Explications.
Il y a des moments où un pays bouge sans bruit. Où rien ne semble changer en surface, et pourtant tout se déplace en profondeur. Depuis quelques mois, la Nouvelle-Calédonie vit exactement cela : une recomposition silencieuse de ses forces réelles.
On continue de parler de loyalistes, d’indépendantistes, de FLNKS, de présidents et de ministres… Mais pendant qu’on regarde les acteurs habituels, d’autres forces, plus anciennes et plus solides, reviennent au premier plan. Ce texte essaie simplement de mettre ces mouvements en lumière.
Un pays qui glisse sans le dire
La vie publique donne l’impression d’être bloquée dans un débat déjà trop connu. On répète les mêmes mots, les mêmes sigles, les mêmes affrontements. Mais le pays réel n’est plus tout à fait là.
Sous la surface, quelque chose s’est déplacé. Et tant qu’on ne descend pas à ce niveau, on a l’impression que tout stagne — alors que tout change.
Le FLNKS arrive au bout de son cycle
Il n’y a ici ni reproche ni ironie. Juste une donnée historique. Le FLNKS aura été, pendant quarante ans, le cadre politique de l’unité indépendantiste : un front, une bannière, une manière d’organiser la lutte et de parler d’une seule voix.
Mais l’histoire des fronts politiques suit toujours la même logique : ils naissent, ils montent, ils s’imposent… puis, un jour, ils arrivent au bout de leur mandat historique. Ce n’est pas un échec. C’est une fin de cycle.
Les signes sont venus les uns après les autres :
– divisions devenues fractures,
– départ du PALIKA,
– perte de mandat,
– impossibilité à engager son peuple dans un oui ou un non,
– silence stratégique devenu silence tout court.
Personne n’a « tué » le FLNKS. Il s’est simplement épuisé.
Pendant ce temps, la coutume se remet en mouvement
Quand un espace se vide, un autre se remplit. Pendant que le FLNKS s’est figé, la coutume — elle — a recommencé à respirer.
On l’a vu ces dernières semaines : les assemblées sous la case, les réunions des huit aires, l’Alliance des Royaumes Kanak, l’Assemblée du Peuple Kanak le 15 novembre, et même l’annonce adressée au Conseil de Sécurité de l’ONU sur la création d’un Conseil National de Transition Kanak.
Il ne s’agit pas d’un retour folklorique. Il s’agit d’un retour à la source : lorsque les structures politiques s’affaiblissent, les structures profondes reprennent naturellement leur place.
La coutume n’a jamais disparu. Elle attendait son heure. Elle parle moins souvent, mais quand elle parle, elle engage.
Deux légitimités se clarifient
Et c’est peut-être le point le plus important du moment politique actuel. Pendant longtemps, tout a été confondu :
FLNKS = Kanaky,
Loyalistes = République,
comme si chaque camp portait tout le poids d’un peuple.
La réalité d’aujourd’hui est plus nette, plus honnête, plus stable :
– côté Kanaky : la coutume,
– côté Calédonie Française : la République.
Ce ne sont pas deux adversaires. Ce ne sont pas deux ennemis. Ce sont les deux piliers sur lesquels repose ce territoire.
Deux manières de dire : « voilà ce qui nous fait tenir debout ». Deux légitimités différentes, mais réelles, anciennes, et chacune valable dans son ordre propre.
Bougival : un accord construit sur un décalage
Il faut dire les choses simplement, sans colère. Si Bougival semble si fragile depuis le premier jour, c’est parce qu’il a été construit avec un acteur qui n’avait plus les moyens d’engager son peuple.
On peut signer un texte avec une organisation, mais on ne peut pas demander à un pays entier d’adhérer à un accord négocié par un front politique au moment précis où ce front perdait sa capacité de décision.
Ce n’est la faute de personne. C’est un problème d’ajustement. L’État a parlé à un mouvement politique, alors que le poids réel, lentement mais sûrement, glissait déjà vers les autorités coutumières.
Comment reconnecter ces deux forces
La question du moment n’est pas : « qui a tort ? » ou « qui doit céder ? » La vraie question est beaucoup plus simple : comment remettre en dialogue les deux légitimités qui font tenir ce pays ?
La coutume, parce qu’elle représente encore un peuple dans sa profondeur.
La République, parce qu’elle représente encore un cadre de droit et de continuité.
L’avenir ne se construira pas contre l’une ou l’autre. Il se construira entre elles. Pas dans la défiance. Pas dans le déni mutuel. Mais dans la reconnaissance de ce qui est : un pays à double fondation, qui a besoin des deux pour respirer.
Restaurer le lien par la vérité
Ce texte n’est pas un verdict. Ce n’est pas un reproche. C’est la tentative d’éclairer un mouvement silencieux du pays. Parce qu’on ne peut pas avancer si on regarde encore dans les vieux cadres.
Dans un pays secoué, la vérité n’est pas un risque : c’est une boussole. C’est elle seule qui permet encore de se retrouver.
Faire en sorte que la vérité, même douloureuse, redevienne un lien.
