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Monsieur le Haut-Commissaire, savez-vous compter ?

Le 14 mars 2025, le Congrès de la Nouvelle-Calédonie s’est réuni pour débattre des orientations budgétaires de l’exercice à venir. Face à une situation financière préoccupante, marquée par un taux d’endettement « de plus de 300 % », les élus ont exprimé des réserves quant aux choix du gouvernement pour redresser les finances du territoire. L’ambition affichée : apprendre à dépenser moins et mieux, tout en sollicitant un effort supplémentaire de l’État pour transformer les prêts en subventions.

Or, cette demande à l’État n’est pas nouvelle. En juillet 2022, face à des finances déjà déficitaires, la Nouvelle-Calédonie avait contracté un prêt garanti par l’État français. Pour éviter un fardeau budgétaire insoutenable et suivre la même logique que l’État lui-même applique à ses propres déficits, ses élus avaient demandé à Paris de convertir ces prêts en subventions. Une requête qui aurait évité à la collectivité de devoir procéder aux coupes budgétaires et aux réductions d’effectifs qui sont désormais inéluctables. Mais l’État a répondu avec fermeté. Dans un courrier en date du 6 avril 2023, le Haut-Commissaire Louis Le Franc écrivait : « La Nouvelle-Calédonie n’a plus de capacité d’emprunt sur les marchés en raison de son endettement excessif. » La sentence était rendue. L’État exigeait que la Nouvelle-Calédonie fasse ce qu’il n’a jamais été capable d’appliquer à lui-même : équilibrer son budget. C’est à partir de ce moment précis que l’incohérence a pris toute son ampleur.

Car si l’argument semble implacable, il ne l’est pas. Il repose sur une contradiction fondamentale. Ce que l’on interdit à la Nouvelle-Calédonie, l’État se l’autorise. Ce que l’on présente ici comme une gabegie irresponsable, on le justifie ailleurs comme un investissement nécessaire. La dette calédonienne serait une impasse, un mur infranchissable ; la dette de l’État français, une fatalité acceptée, une stratégie de gestion assumée. Mais ce n’est pas la France qui est endettée. Ce ne sont pas les Français qui vivent au-dessus de leurs moyens. C’est l’État.

Celui justement que vous représentez, Monsieur Louis Le Franc.

Depuis cinquante ans, l’État vit sous perfusion financière. Depuis 1974, pas un seul budget à l’équilibre. En 2024, l’Agence France Trésor a levé 285 milliards d’euros sur les marchés financiers internationaux. En 2025, elle prévoit d’en emprunter 300 milliards. Chaque jour ouvré, l’État s’endette de plus d’un milliard d’euros. En une seule journée, Paris lève plus que le budget annuel de la Nouvelle-Calédonie. Vous voulez savoir pourquoi ? La réponse tient en une phrase : sous Macron, l’État gagne 300, il dépense 500 et il emprunte 300. Chaque année, le reliquat de la dette paie ainsi à crédit une croissance artificiellement maintenue par les emprunts de la puissance publique… et c’est la trappe à dette.

Et pourtant, c’est à Nouméa que l’on explique la vertu budgétaire. C’est à notre picrocholin gouvernement local que l’on intime l’ordre de réduire ses dépenses, de cesser d’espérer un refinancement. Pendant que l’État brûle chaque jour un milliard emprunté, il exige de la Nouvelle-Calédonie une rigueur qu’il n’a jamais su s’imposer.

Mais l’incohérence ne s’arrête pas là. L’État compare sa dette au PIB national, soit à l’ensemble de la richesse produite par les Français et leurs entreprises, comme si toute l’économie privée servait uniquement à rembourser ses errements. Une manière habile de diluer la réalité. Avec cette méthode, l’endettement de l’État semble contenir à 112 % du PIB. Mais si l’on appliquait le critère utilisé pour la Nouvelle-Calédonie, soit la dette rapportée aux recettes fiscales, alors l’endettement de l’État grimperait à 924 %. Oui, 924 %. L’État français est, depuis 2010, structurellement en faillite, mais refuse de l’admettre. Il exige des autres une discipline qu’il est incapable de s’appliquer.

Alors ce taux de 317 % que vous avancez pour la Nouvelle-Calédonie, d’où vient-il, Monsieur le Haut-Commissaire ? Il ne figure dans aucun standard économique reconnu. Il est un artefact comptable, une construction sur-mesure destinée à dramatiser artificiellement une situation budgétaire qui, comparée aux standards de l’État, est encore contenue. En appliquant avec rigueur vos propres critères, Paris serait sous tutelle du FMI depuis près de vingt ans. Ce chiffre, isolé de tout contexte, sert en fait à effrayer et à dominer plutôt qu’à éclairer. Il masque la seule vérité qui compte : la Nouvelle-Calédonie est contrainte à une rigueur que l’État s’interdit. La règle est à géométrie variable, ajustée selon les intérêts politiques de l’instant.

Mais cette dérive ne date pas d’hier. Monsieur le Haut-Commissaire, votre institution a eu des prédécesseurs. Joseph Guyon, gouverneur de Nouvelle-Calédonie de 1925 à 1932, représentait un État qui administrait 70 millions d’habitants répartis sur un empire de 15 millions de km². Il y a exactement un siècle, à l’heure de la marine à voile, de la machine à vapeur et du courrier postal, la fonction publique française savait gérer un territoire immense avec une rigueur budgétaire et administrative qui vous échappe aujourd’hui. En 1925, l’État fonctionnait ainsi avec 700 000 fonctionnaires. Aujourd’hui, cent ans plus tard, vous avez 5,7 millions de collègues. Sept fois plus de personnel, pour un empire sept fois plus réduit. À l’heure des emails et de Starlink, comment expliquer qu’il faille aujourd’hui sept fois plus d’administrateurs qu’il y a un siècle pour gérer moins de territoire et presque le même nombre d’habitants ? Était-ce la compétence ou l’intelligence de vos ancêtres qui était sept fois supérieure à la vôtre ? Êtes-vous sept fois plus inefficaces ou incompétents qu’eux ? Répondez-nous, Monsieur le Haut-Commissaire, car je ne me souviens pas que la France était endettée comme elle l’est aujourd’hui il y a un siècle, ni que ses confettis d’empire furent à feu et à sang comme ils le sont aujourd’hui, du Pacifique à l’Atlantique, en passant par l’océan Indien.

Monsieur le Haut-commissaire, le temps file. Pendant que vous lisiez ces quelques lignes, l’État s’est endetté de 3,85 millions d’euros. Une dette que ni vous ni nous ne rembourserons jamais. Une dette dont vous savez qu’elle finira entre les mains de ceux qui n’ont jamais eu leur mot à dire.

Vous lisez Bergson, c’est bien, Le Rire. Mais l’époque n’est plus à la philosophie. Lisez plutôt Descartes. Il connaissait les mathématiques. Il aurait su distinguer une crise budgétaire réelle d’une construction comptable opportuniste. Il aurait aussi su répondre à une question simple : pourquoi ceux qui nous gouvernent aujourd’hui sont-ils sept fois plus nombreux pour des résultats sept fois moindres ?

Je suis, Monsieur, votre serviteur.

SIRIUS

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Lemec Dici
Lemec Dici
18 mars 2025 11:45

La Nouvelle-Calédonie ne fait que suivre l’exemple.
De plus, elle sait qu’elle peut se le permettre puisque l’Etat achète la paix et la stabilité à coups de milliards.
Alors pourquoi se priver ? surtout quand cela vient de ceux qui détestent la France et en même temps et de manière éhontée lui demandent des milliards, après tout, elle nous doit bien ça, tellement elle nous opprime. Et puis c’est toujours un petit peu de dette coloniale récupérée.
Je ne serai pas étonné que la dette de la Province Nord disparaisse comme par miracle dans les négociations à venir.

Dernière modification 13 jours plus tôt par Lemec Dici
oups2 x
oups2
17 mars 2025 22:52

Les arguments sont foireux comme d’habitude. L’état est un mauvais gestionnaire qui doit nous donner ( pas prêter) pour que l’on fasse comme lui et c’est un droit. Et comme l’état est mauvais gestionnaire , le fait que cela plombe un peu plus ses comptes n’est pas grave. Autre argument: Etat mauvais gestionnaire, pas le peuple. Qu’est ce que l’état si ce n’est la représentation du peuple. Quel pourrait etre un état sans peuple! Le peuple n’est pas dépensier, ok. Mais toutes celles dont il bénéficie ne sont elle pas des dépenses? Quand il veut tout un tas d’avantages pour… Lire la suite »

ditou
ditou
17 mars 2025 10:30

“ la Nouvelle-Calédonie est contrainte à une rigueur que l’État s’interdit.” Normal la Calédonie a sa propre autonomie, avec les transferts de compétence, qu’elle a obtenue. La Calédonie est sur la liste des pays à décoloniser. Donc elle doit savoir gérer son économie et sa finance si elle veut un jour être indépendante. La France ne doit pas être un sanctuaire en cas d’endettement. L’Etat, n’a aucune contrainte de rigueur à s’ imposer, car elle sait, que sur son territoire, il y a 68 millions d’habitants et elles compte sur ses recettes d’impôts et taxes et amendes en tous genre, pour… Lire la suite »

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