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Le silence des coutumiers
Ils ne parlent plus. Et parce qu’ils ne parlent plus, tout le monde les croit absents. Mais leur silence est lourd. Organisé. Subventionné. À l’heure où l’on débat d’un accord sans ancrage, les autorités coutumières gardent le silence. Ce texte en déplie les raisons. Et les conséquences.
Ils sont toujours là.
Ils siègent, accueillent, transmettent, se lèvent quand il faut, se taisent quand on leur demande. Chaque année, ils reçoivent leur part. Pas volée, diront certains : c’est le prix de la paix, de la situation, de l’ordre. Mais que vaut une paix sans parole ?
Depuis vingt ans, la parole coutumière s’est déplacée. Elle n’est plus à l’intérieur des institutions que la République lui a concédées. Elle est revenue dans les cases, dans les districts, dans les corps. Le Sénat coutumier est devenu un décor : budgetisé, protégé, médiatisé. Mais sans chair. Sans nerf.
Un milliard de francs pour un silence.
C’est, en moyenne, ce que le budget propre de la Nouvelle-Calédonie consacre chaque année au maintien symbolique de la coutume dans ses rouages : ADCK, DACC, ALK, chefferies, travaux sur terres coutumières, foncier, culture. Tout est là. Sauf la voix.
Car dans les moments décisifs — ceux où se forge le destin — la parole coutumière ne parle plus. Elle se rétracte. Elle s’en remet à plus tard, ou à plus haut. Elle attend que les partis décident, que l’État tranche, que les jeunes s’agitent. Elle se tait.
Ce silence n’est pas un oubli. Il est une stratégie.
Les anciens savent. Ils voient que le processus est piégé, que les termes sont minés, que l’accord à venir ne reconnaît plus rien. Ils pressentent que parler, ce serait s’avancer sans pouvoir reculer. Et pourtant, ils se taisent. Pourquoi ?
Parce qu’ils sont vieux. Parce qu’ils sont tenus. Parce qu’ils sont tristes.
La coutume a perdu le bras, l’œil et la dent. Elle tient encore la mémoire. Mais elle n’a plus la main.
Mais ce pays est en train de la perdre aussi.
Car pendant qu’on subventionne les outils, on méprise les voix qui vivent. Le Conseil des Grands Chefs, réactivé sous le nom d’Inaat Ne Kanaky, regroupe désormais plusieurs dizaines d’entités coutumières — soit une minorité conséquente au sein des bases vivantes du pays kanak. Son porte-parole, Hippolyte Sinewami Htamumu, a parlé à l’ONU. Il a proclamé la souveraineté sur ses terres coutumières. Il a appelé à ce que la voix coutumière ne passe plus par les partis, mais par elle-même.
Rien. Aucun relais. Aucun accueil. Pas même un silence en retour.
Parce que ce silence-là, le vrai, c’est celui du système.
Ce pays ne veut pas entendre les vivants. Il veut entendre les institutions. Il ne veut pas de chefs qui pensent, il veut des instances qui rassurent. Et la coutume officielle rassure : elle ne bouge pas, ne s’oppose pas, ne propose rien.
Mais pendant ce temps, les clans parlent. Les jeunes se réveillent. Des souverainetés sont proclamées. Des paroles circulent sous le bois, hors micro.
Alors, ce texte s’adresse à eux.
Ceux qui n’ont pas encore parlé, mais qui savent. Ceux qui n’ont plus rien à gagner, mais tout à transmettre. Ceux qui ont gardé le sens, mais qu’on n’a pas invités à la table.
Le silence des coutumiers ne sera plus une excuse.
Car le silence, en politique, est un choix. Et ce qui n’est pas reconnu ne survivra pas.
Vous seuls pouvez encore dire oui. Ou non. Mais pas rien.
SIRIUS
