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Un sur trois est parti

Ils étaient 73 000 en 2014. Ils ne sont plus que 49 000 aujourd’hui. En dix ans, un tiers de la population européenne a quitté la Nouvelle-Calédonie. Sans guerre. Sans déclaration. Sans bruit. Ce texte n’est pas un pamphlet. C’est le constat d’un basculement démographique, culturel, politique. Et la clôture assumée d’un cycle : celui de la domination tranquille.

Ils ont été majoritaires. En voix. En droit. En mémoire. En confort. Ils ont façonné les institutions, dessiné les frontières, réparti les moyens, écrit les lois. Ils étaient l’ossature visible du pays, la figure rassurante du pouvoir, la colonne vertébrale économique. Mais cela, c’est terminé.

Aujourd’hui, les chiffres sont là. Ils ne sont plus majoritaires en rien. Ni en nombre. Ni en trajectoire. Ni en légitimité symbolique. Les Européens de Nouvelle-Calédonie sont devenus minoritaires. Démographiquement, culturellement, politiquement. Ce n’est pas une offense. Ce n’est pas un jugement. C’est un constat.

Depuis 2015, la Nouvelle-Calédonie a perdu plus de 24 000 Européens. Un tiers de cette population. Un sur trois. Disparu. Ils sont partis. Sans bruit. Sans colère. Mais ils sont partis.

Estimation 2025 : 49 000 personnes, contre plus de 73 000 en 2014. Une chute vertigineuse, mais documentée. Il y a désormais moins d’Européens en Nouvelle-Calédonie qu’il n’y en avait avant l’insurrection kanak de 1984 (car ils étaient 53 000 lors du recensement de 1983, soit 33% de la population).

Et avec eux, c’est une part entière du tissu économique, technique et entrepreneurial du pays qui s’est effondrée. Des entreprises ont fermé, des savoir-faire ont disparu, des centres se sont vidés. Ce n’était pas une classe dominante : c’était une colonne vertébrale.

Il faut dire les choses comme elles sont : le projet jamais assumé mais toujours sous-jacent du FLNKS depuis 1984, le fameux “barrez-vous“, est un franc succès. Quarante ans plus tard, le résultat est là : un Européen sur trois a quitté le territoire en l’espace d’une décennie. Il faut le savoir. Il faut l’admettre. Et surtout, il faut l’intégrer.

C’est uniquement sur cette base – démographique, concrète, indiscutable – qu’il faut juger la période des quarante dernières années, et le bilan de nos « élites », quelles qu’elles soient.

Alors que certains continuent de brandir la peur de l’indépendance ou du désordre, la vérité est là : le vieux monde s’est déjà replié. Et ceux qui veulent y revenir n’ont plus ni les chiffres, ni les bras, ni l’élan. Le fantasme d’une majorité blanche républicaine, neutre et organisatrice, ne tient plus. Il ne tient plus dans les écoles, dans les statistiques, dans les conseils municipaux, ni dans les imaginaires. Il faut en tirer les conséquences. Politiques. Symboliques. Sociales.

Être minoritaire, ce n’est pas une défaite. C’est un statut. Ce n’est pas la fin d’une présence. C’est un changement de place. Cela n’interdit ni l’action, ni l’expression, ni même l’influence. Mais cela exige une chose : renoncer à régner.

Le système post-ADN a épuisé tous ses outils. La peur ne mobilise plus. L’attente ne structure plus. La promesse de revenir au centre ne trompe plus. Car le centre, justement, a changé. Ce centre est aujourd’hui fragmenté, mouvant, kaléidoscopique. Et au cœur de cette météorologie sociale : la centralité kanak. Non pas comme pouvoir exclusif, mais comme axe de gravitation.

C’est autour d’elle que se redessine la carte. Que se redéfinit la cohabitation. Que s’imaginent les compromis. Que s’affirme une mémoire. Dans ce contexte, être européen en Nouvelle-Calédonie, ce n’est plus une position d’évidence. C’est un choix. Un ancrage. Une immense responsabilité.

A la différence de la situation israélo-palestinienne, qui contamine aujourd’hui tous les récits identitaires, le problème calédonien n’est pas religieux. Il n’est même pas racial comme en Afrique du Sud. Il est juridique. Il est institutionnel. Il est anthropologique.

C’est la coexistence de deux systèmes normatifs — le droit occidental démocratique d’un côté, le droit coutumier tribal de l’autre — qui rend la synthèse impossible, « irréconciliable » et rend l’affrontement silencieux si lourd.

Et à ceux qui s’accrochent encore à l’illusion d’une majorité perdue, il faut dire doucement mais fermement :

Il ne s’agit plus de régner. Il s’agit de trouver sa juste place dans une société qui ne vous appartient plus totalement. Pas pour s’excuser. Pas pour pardonner. Mais pour regarder la vérité en face, et permettre à ceux qui restent, quels qu’ils soient, de faire de même.

Parce qu’ils ont au moins le droit à la vérité. Après quarante ans de mensonges et d’échecs.

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Rocky Siffredo
Rocky Siffredo
27 mai 2025 13:58

Du coup, les blancs qui sont retournés vivre en France, ils les appellent comment là-bas, les “pieds nickelés”?

Aouh pas taper, pas taper… 😀

oups2 x
oups2
Répondre à   Rocky Siffredo
27 mai 2025 16:42

Très bon!

Rocky Siffredo
Rocky Siffredo
Répondre à   oups2
27 mai 2025 20:13

Merci mais ça n’est pas de moi. (Un dessin de presse de Jacques Faisant dans le Figaro en 1985)

Nogius
Nogius
27 mai 2025 10:11

Les seuls qui restent c’est la merde en capuche et la merde de bons à riens !

Rocky Siffredo
Rocky Siffredo
27 mai 2025 07:48

Les français ont bien naïvement tendance à croire au mythe du “Bon sauvage”… sauf qu’il y a chez les kanaks des racistes et des fascistes, tout comme chez les autres groupes socio culturels, ou dans les autres ethnies. Après tout, pourquoi devrait-ce ne pas être le cas? C’est idiot de penser qu’une ethnie donnée devrait (au nom de quoi?) être à l’abri de la stupidité et de l’intolérance… Donc, force est de le reconnaître: Il y a chez les nationalistes autochtones, les indépendantistes kanaks si vous préférez, des racistes et des fascistes, et ces gens ont pour objectif de faire… Lire la suite »

Pat NC
Pat NC
27 mai 2025 06:39

Partis sans colère : c’est un peu angélique. Je doute que de nombreux départs depuis 1 an soient ‘sans colère’.

Electron Libre
Electron Libre
Répondre à   Pat NC
27 mai 2025 12:19

Partis le coeur déchiré car beaucoup aimaient profondément ce pays.
Pas que pour les paysages mais aussi pour la gentillesse naturelle des gens, c’est ce que j’ai souvent entendu, même de la part d’étrangers.

Mais ils ont perdu espoir en ce pays, on sait pourquoi, on sait à cause de qui.

Dernière modification 1 jour plus tôt par Electron Libre
Inforétif
Inforétif
Répondre à   Electron Libre
27 mai 2025 20:49

” on sait … à cause de qui.”

Arrête de taper sur ton ami Poutine et son ami Ilham Aliyev, acteur du coup bas de Bakou, c’est trop facile !

Dernière modification 16 heures plus tôt par Inforétif

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