La caste ou le peuple

Il y a des signatures qui font l’histoire. Et d’autres qui l’enterrent. Celle du 12 juillet 2025 appartient à la seconde catégorie.

Ils ont signé. Tous. À Bougival. Officiellement. Solennellement. Et pourtant, quinze jours plus tard, plus personne ne s’en réclame vraiment. On explique, on renie, on nuance, on temporise, on fuit les micros. On cherche les mots. Comme s’ils n’étaient pas là quand c’est arrivé.

Le peuple, lui, n’a rien signé. Il n’a pas été consulté. Il n’a même pas été regardé. Mais c’est lui qu’on appelle maintenant à voter. Et à croire.

Le problème, c’est que plus personne ne croit.

Un rejet transversal

L’accord de Bougival était censé être « la paix », « le compromis », « le dépassement ». Il est devenu en quelques jours une zone grise, une source d’inconfort, un objet de malaise partagé. Même parmi ceux qui y voient encore un outil, nul ne le brandit avec enthousiasme. Les soutiens d’hier parlent à voix basse. Les plus sincères se taisent. La base n’a pas suivi. Ni ici, ni là-bas.

Quand un texte a besoin d’être expliqué tous les jours, c’est qu’il n’a pas été compris. Et s’il n’a pas été compris, c’est qu’il n’a pas été voulu.

Bougival : la fabrique du mensonge

Ce texte n’est pas un accident. C’est un système. Une méthode. Une stratégie.

Il a été pensé flou. Il a été voulu ambigu. Non pas pour rassembler, mais pour survivre aux contradictions. Il fallait qu’il dise tout… et son contraire. Qu’il rassure les uns, tout en laissant une porte aux autres. Qu’il fasse croire à un maintien, et en même temps à une rupture. Qu’il soit « dans la République » … mais avec un État calédonien.

Ce mot “État” n’est pas défini juridiquement. Chacun y projette ce qu’il veut. La “nationalité calédonienne” est un chiffon rouge, identitaire mais creux. Il n’y a pas d’indépendance assumée, mais plus de République claire non plus. Sur le drapeau, le corps électoral, les institutions : flou volontaire partout. Le processus de validation est si complexe qu’il semble fait pour échouer ou lasser. Les ambiguïtés ne sont plus des ouvertures. Elles sont devenues des soupçons.

Car c’est ainsi qu’on gouverne, en France comme en Nouvelle-Calédonie, depuis des années : par le non-dit, par le report, par l’arrangement lexical.

Mais aujourd’hui, les mots ne suffisent plus.

Deux peuples, et une fatigue commune

Ni le peuple kanak, ni le peuple Calédonien français n’ont été consultés. Ni l’un ni l’autre ne s’y retrouve. Parce que ce n’est pas leur texte. C’est celui d’une caste. Deux castes, pour être précis :

• La caste indépendantiste : ex-combattants devenus gestionnaires, rentiers de la lutte, fils de chef reconvertis en apparatchiks institutionnels.
• La caste loyaliste : communicants de profession, experts de l’ambiguïté, gestionnaires du vide, héritiers de micro-partis qui parlent au nom des autres.

Ces deux castes se donnent la réplique depuis trente ans. Elles s’opposent en façade, mais se ressemblent en tout. Elles vivent des subventions, des marchés publics, des frais de mission, des institutions. Elles se protègent mutuellement. Elles se cooptent. Elles s’appuient en miroir.

Et surtout, elles n’ont jamais tenu une barre à mine, jamais géré un commerce, jamais bâti une maison, jamais réparé un moteur, jamais pris un risque réel. Elles n’ont jamais survécu sans argent public, jamais connu une fin de mois difficile sans pouvoir appeler un cousin haut placé. Elles n’ont jamais vu leur compte à découvert le 12 du mois. Jamais.

Ces deux castes ne savent rien faire de leurs mains. Elles ne produisent rien. Elles ne réussissent jamais rien. Leur seule compétence est de parler au nom des autres. Et pour continuer à le faire, elles appuient sur les clivages identitaires. Elles dressent les deux peuples l’un contre l’autre.

Pendant qu’elles encaissent.

Une seule solution : la vérité partagée

Il ne s’agit pas de fusionner. Ni de nier les différences. Mais de reconnaître ces deux peuples… et de chasser les deux castes.

C’est cela, la Double Reconnaissance : accepter ce qui est, sans rêver de ce qui n’est pas. Dire à chacun : tu existes, tu es légitime, tu as le droit d’être là. Et dire aux castes : vous avez trahi, vous devez partir.

Car tant que les deux peuples s’affronteront, les castes gouverneront. Mais s’ils se regardent en face, s’ils se disent la vérité et apprennent à se respecter mutuellement, alors les équilibres changeront.

Chute

Les deux peuples n’ont pas signé Bougival. Ils n’ont pas signé parce qu’on ne leur a rien demandé.

Et ce silence-là, ceux qui vivent d’impôts et de mensonges vont bientôt l’entendre rugir.