Actualité
Nos élus n’ont pas le niveau. Et c’est le pays qui paie.
Il y a des jours où la colère populaire dit mieux que mille notes techniques. Dans les coups de gueule, sur la toile, autour de la machine a café, certains commencent à dire tout haut ce que beaucoup pensent tout bas : le problème de la Calédonie, c’est surtout la qualité de son personnel politique. Pas seulement des « mauvais choix » ; l’absence de carrure pour choisir. Décryptage.
« Faut pas oublier que nos élus sont élus par le peuple et payés par le peuple pour représenter le peuple, pas pour se faire du fric sur le dos du peuple. (Auditeur / Coups de Gueule – OcéaneFM ; 15/09/25) »
« On peut nommer n’importe qui président du gouvernement […] faudrait un minimum un niveau quoi […] la plupart de nos élus ne parlent même pas anglais […] c’est du copinage (Idem) »
« Voilà le problème de la Calédonie : la qualité du personnel. […] Nos élus ne sont pas qualifiés, ils ont jamais fait d’école politique. Voilà pourquoi la Calédonie s’effondre : on met n’importe quoi et n’importe qui, c’est que du copinage. (Idem) »
Ces phrases ne critiquent pas une mesure ou un camp : elles mettent en cause la compétence même de ceux qui nous dirigent. Et l’actualité leur donne, hélas, des munitions.
Le cas Ponga : un président sans carrure internationale
À Honiara, lors du Forum des îles du Pacifique, le président du gouvernement a reconnu en direct la difficulté à suivre les débats en anglais : « on est dans un monde plutôt anglo-saxon et donc c’est assez compliqué et difficile de suivre l’ensemble des débats quand on n’est pas natif anglais ». Dans la bouche d’un chef d’exécutif qui a, entre autres, les relations extérieures et la francophonie dans son portefeuille, l’aveu sonne comme un diagnostic d’insuffisance : le poste exige ce niveau (ou une équipe qui compense). Les attributions officielles de M. Ponga mentionnent justement « Relations extérieures – Francophonie » et la promotion internationale du territoire.
Même partition de sa part quand Paris change de Premier ministre : « Nous, on fera avec, parce que c’est un Premier ministre, comme on a fait avec Monsieur Bayrou… comme on était prêts à faire avec Monsieur Barnier ». “On fera avec” : tout est dit. Pas de cap, pas de doctrine, pas de conditions ; une posture d’adaptation permanente, quand la fonction réclame précisément de formuler une ligne et de la tenir.
Ajoutez le recours incantatoire à l’« océan de paix » et à Bougival comme mantra – « préserver la paix », « chemin de paix » – répété à Honiara pendant que le pays reste sans respiration budgétaire . Le contraste saute aux yeux : la communication d’ambiance a remplacé la vision et les compétences.
Soyons justes : le pauvre Monsieur Ponga fait ce qu’il peut. Il n’a pas demandé la dissolution qui l’a propulsé en première ligne lors des législatives, il n’a pas inventé l’étau financier, et rien, dans le système calédonien, n’incite aujourd’hui au courage. Mais c’est précisément le problème : la fonction dépasse manifestement sa préparation. Et l’impuissance finit par énerver tout le monde : loyalistes, parce que rien ne bouge ; indépendantistes, parce qu’ils n’y lisent ni conviction ni horizon.
Un gouvernement de communication… et d’erreurs coûteuses
Le cas Ponga n’est pas isolé : le reste du gouvernement n’élève pas le niveau, il le révèle. Prenons un exemple objectivable, sans polémique inutile mais qui a l’avantage du recul : les repas “gratuits” étudiants.
En février 2023, l’exécutif présentait – conférence de presse à la Maison de l’étudiant – la prise en charge totale des repas des étudiants, financée par 25 millions CFP d’argent public. Objectif : 70 000 à 80 000 repas. L’intention sociale (et totalement clientéliste) était claire et assumée par la membre du gouvernement en charge de l’enseignement supérieur, Isabelle Champmoreau.
Puis la réalité a repris ses droits : la fréquentation a été multipliée par 4 à 5 car la gratuité offerte par les uns attire les autres. La subvention a ainsi été consommée en seulement quatre mois, et, dès le 21 août 2023, ce fut le retour aux repas payants le midi (comme avant la « réforme »). La mesure aura donc maximalisé la dépense sans sécuriser son financement, avant de se rétracter partiellement. Symptôme classique d’un gouvernement de communication : on annonce fort, on finance court, on recule vite et ensuite on nie avoir fait tout cela en comptant sur l’oubli de l’opinion publique. Les étudiants, eux, apprennent à leurs dépens qu’un “cadeau” sans boussole budgétaire finit en déception et que, comme toujours, le socialisme s’arrête lorsqu’on est à court de l’argent des autres.
On pourrait multiplier les signaux : portefeuilles pléthoriques (économie, fiscalité, emploi, énergie, numérique, attractivité – excusez du peu) pendant que les problèmes s’aggravent comme les déficits. Ce recyclage institutionnel qui donne le sentiment d’un système à bout de souffle. Pendant ce temps, la dépendance financière du gouvernement local à la France reste là, brutale : 120 milliards CFP prêtés par l’AFD, soit près de la moitié du budget de fonctionnement total de la puissance publique calédonienne. Le taux : 4,2 % sur 25 ans – une perfusion, pas une refondation.
La crise du niveau
Les Calédoniens le sentent : ce qui se joue n’est pas qu’une bataille d’accords ou d’alliances.
C’est une crise de niveau.
Un pays qui sort d’une crise insurrectionnelle, d’une récession durable et d’une asphyxie budgétaire a besoin d’un personnel dirigeant d’exception : bilingue, stratège, sachant négocier, capable de formuler une doctrine lisible, de hiérarchiser les priorités, de dire non quand il le faut – à Paris comme au pays. Nous n’y sommes pas.
Nos élus ne sont pas seulement contestés pour leurs décisions. Ils sont contestés pour leur manque de carrure. Ils sont pour l’écrasante majorité d’entre eux fonctionnaires et leur seul fait d’arme est d’avoir réussi un concours (ou d’avoir été recruté autrement), il y a plus d’une quinzaine voire d’une trentaine d’années. On le voit dans les mots des auditeurs, on l’entend dans l’aveu sur “l’anglais” et dans le “on fera avec”. Et on le paie dans la vie réelle : mesures mal calibrées qui s’effondrent sur elles-mêmes ; budgets colmatés à coups d’emprunts ; politique internationale réduite à des éléments de langage.
La morale (provisoire) de l’histoire
Ce texte n’est pas une diatribe contre un homme. Alcide Ponga n’a pas inventé le déclassement de notre classe politique ; à l’instar d’Emmanuel Tjibaou chez les indépendantistes, il l’expose. Il ne mérite ni insultes ni mépris ; il mérite le dire vrai : comme le prouve le navrant bilan de l’ensemble des membres de notre gouvernement, la fonction les dépasse. Et tant que le système continuera de placer des profils aussi conformistes et sans culture intellectuelle ni politique, par réflexe d’appareil – ou par réflexe binaire loyalisme/indépendantisme – au lieu de sélectionner par le niveau, la Calédonie paiera. Un auditeur des fameux coups de gueule l’a bien compris :
« Nos élus ne font pas seulement de mauvais choix. Ils n’ont pas la carrure pour en faire. »
La politique locale ne se sauvera ni par la com’ ni par l’agitation. Elle se sauvera par le retour du niveau : des compétences, des langues, des chiffres, des plans. Et la modestie d’admettre que “faire avec” n’est pas une politique. On peut discuter à l’infini des textes, des drapeaux et des postures. Mais tant que la question du niveau restera taboue, le pays tournera en rond. La colère des Calédoniens n’est pas qu’un “coup de gueule” ; c’est un audit. On ne rebâtit pas une case dont les poteaux sont pourris en rajoutant des nattes neuves. Il faut changer les poteaux. Et vite.

La moitié de ce qui est écrit n’est que des conneries!