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Un pays qui ferme ses cantines et ouvre ses valises

400 millions manquent pour nourrir les élèves, 534 millions partent chaque année en billets d’avion. Dans la crise scolaire, la lettre du gouvernement dévoile une vérité simple : la Nouvelle-Calédonie dépense pour bouger, pas pour bâtir.

 Une lettre ouverte, un ton fermé

Le 4 novembre, la membre du gouvernement chargée de l’enseignement a adressé au directeur de la DDEC une lettre d’une sécheresse rare. « Je vous enjoins à plus de modération », écrit-elle. Le verbe trahit le reste : l’exaspération, la verticalité, la perte de sang-froid. Au lieu d’apaiser une crise de cantines où des enfants ne mangent plus, la ministre de l’enseignement réprimande.

C’est le ton d’un État-major qui n’a plus de moyens, seulement des circulaires. Cette missive n’est pas une erreur de communication ; c’est un révélateur de système. Un gouvernement qui n’a plus d’argent croit encore gouverner en mots d’ordre. Il parle gestion quand le pays attend justice.

Du gouvernement “nounou” au gouvernement “neuneu”

On se souvient d’Isabelle Champmoreau : repas « gratuits » à l’université, égalité femmes-hommes, programmes jeunesse, bien-être animal. Des actions symboliques, souvent sincères, mais coûteuses et vite interrompues. Entre 2021 et 2024, ces politiques ont englouti plusieurs centaines de millions en communication et dispositifs, tous arrêtés net faute de budget : une politique-vitrine.

Et tandis que ces crédits s’évaporaient, d’autres s’accumulaient ailleurs : depuis le transfert de la compétence Éducation à la Nouvelle-Calédonie, 800 millions par an versés par l’État pour la rénovation des lycées sont intégrés chaque année au budget général. Pas un franc n’a servi à la rénovation. Les murs vieillissent ; les lignes comptables prospèrent.

La morale des chiffres

Dans sa lettre à la DDEC, Champmoreau invoque la rigueur : 400 millions ici, 133 millions là, études à venir, conventions à signer. Mais le pays entier a compris autre chose : il n’y a plus d’argent nulle part, et la transparence s’est dissoute dans les procédures. Les mêmes élus qui demandent aux écoles de « faire des efforts » continuent à voyager, à représenter, à “dialoguer” à Paris ou à New York.

La Chambre territoriale des comptes vient pourtant de le chiffrer : entre 2019 et 2024, les frais de déplacement des institutions calédoniennes ont atteint 534 millions par an, dont 120 millions pour quelques élus. Un quart de ces dépenses : des missions hors du territoire.

Si nos élus renonçaient à voyager quinze mois durant, du 1er janvier 2026 au 31 mars 2027, cela libérerait environ 600 millions de francs CFP — de quoi rouvrir toutes les cantines et solder la crise de l’enseignement privé.

La vraie question n’est plus financière

Ce que révèle l’affaire Champmoreau, ce n’est pas une querelle de chiffres mais une inversion morale. Ce pays finance ses billets d’avion mais pas ses repas d’école. Il entretient la mobilité de ses représentants pendant qu’il ferme les cantines de ses enfants.

Quand une ministre de l’enseignement enjoint au silence au lieu d’écouter, c’est qu’elle ne croit plus à la parole. Et quand un gouvernement administre la pénurie sans jamais la reconnaître, c’est qu’il n’enseigne plus : il se survit.

Conclusion

La lettre du 4 novembre ne réglera rien. Mais elle restera comme un document témoin : le moment où la technocratie locale, à force de vouloir tout contrôler, a perdu le sens même du service public.

La solution, elle, tient en une phrase simple : que les élus restent ici quinze mois et laissent les enfants manger.

 

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Hubert B

Hubert B. a rejoint Calédosphère au tout début de l’année 2015. Enfant du pays, il a grandi à Nouméa et a ensuite bourlingué durant près de vingt ans au gré de ses envies et des hasards de la vie. Fils d’une bibliothécaire/documentaliste, il a été tour à tour enseignant, pigiste, formateur mais c’est finalement vers l’écriture qu’il a choisi de revenir. Succinct, précis, parfois laconique, si son style est volontiers direct, ses intérêts sont éclectiques et toujours tournés vers l’actualité. Sa citation favorite : « Le journaliste doit avoir le talent de ne parler que de celui des autres »

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