Saint-Louis : l’Etat se prépare à utiliser la force

Sur la RP1, des balles trafiquées capables de transpercer les véhicules blindés de la gendarmerie ont été utilisées. L’Etat a prévenu que désormais les soldats de la gendarmerie seront habilités à répondre par « tous les moyens à leur disposition ». L’option de la force, c’est-à-dire d’une intervention armée a été, pour la 1ère fois, évoquée et présentée publiquement.

Dans la guérilla que livre une poignée de criminels contre les riverains et les forces de l’ordre à Saint-Louis, un nouveau stade a été franchi. Alors qu’un automobiliste et que deux gendarmes ont été blessés durant ces derniers jours (l’un à la jambe, l’autre au bras) et que de nombreux automobilistes ont été pris pour cible par des tireurs embusqués, la découverte de balles trafiquées capables de franchir les blindages des VBRG, les véhicules blindés de la gendarmerie, aura été un détonateur. Des munitions utilisées par des armes de gros calibres que les autorités n’hésitent pas à comparer à celles utilisées sur les théâtres d’opération des guerres au Mali ou au Proche-Orient. Les conséquences ne se sont pas faites attendre et sont au nombre de trois : d’une part, les gendarmes ont désormais l’autorisation de répliquer si des tireurs les prennent pour cible. D’autre part, une ultime réunion avec les autorités coutumières est prévue ce 31 janvier avec l’Etat. Enfin, si celle-ci devait échouer et si les exactions reprenaient contre des habitants ou les forces de l’ordre, la gendarmerie recevrait l’ordre de mener une opération armée d’envergure au sein de la tribu afin d’appréhender les tireurs et de récupérer les armes en circulation.

Les gendarmes sont maintenant habilités à riposter

Le Haut-Commissaire de la République Thierry Lataste étant en congé et absent du territoire, c’est le secrétaire général de l’institution qui a, hier après-midi, convoqué la presse locale pour faire un point de la situation. Laurent Cabrera a fait ainsi l’annonce des mesures décidées par l’Etat, dont le « changement de règle d’intervention » suivi par les gendarmes :

« Les règles d’engagement de la gendarmerie seront différentes (…) la gendarmerie, à un moment que j’espère le plus proche possible, ouvrira la route, la dégagera et s’il y a des tirs, la gendarmerie répliquera. Ce qui veut dire, compte tenu des armes qui sont utilisées par les tireurs et celles à disposition de la gendarmerie, qu’il y aura des dégâts (Laurent Cabrera, secrétaire général du Haut-Commissariat, 30/01/17 ; sources : NC 1ère) »

Selon le secrétaire général du haussariat, « l’Etat assumera cette responsabilité », c’est-à-dire les pertes humaines qui pourraient en découler si des échanges de coups de feu avaient lieu entre les tireurs de Saint-Louis et les soldats de la gendarmerie.

La réunion de la « dernière chance »

Pour l’heure, la route reste toujours bloquée et cette situation devrait perdurer quelques jours encore. Le temps de réunir les chefs coutumiers de la tribu. Ceux-ci seront chargés par l’Etat de trouver une solution de sortie, à savoir livrer les quelques criminels recherchés (qui seraient moins d’une demi-douzaine) à la justice et les faire sortir de la tribu où ils se cachent. Rappelons que les chefs coutumiers ont eux-mêmes majoritairement des liens familiaux avec certains des auteurs ou des meneurs des exactions. Roger Nonaro, porte-parole des coutumiers est ainsi le père de feu Ramon Nonaro, un délinquant multirécidiviste qui avait menacé de tuer un gendarme. Celui-ci avait été tué par un habitant de la tribu en décembre dernier. De même, Roch Wamytan, grand chef de Saint-Louis et élu de l’Union Calédonienne, est l’oncle de Rock « Victorin » Wamytan, l’un des leaders des émeutes qui a été dernièrement condamné par le tribunal à deux ans de prison ferme pour avoir menacé de mort des gendarmes. Celui-ci déclarait rien de moins que vouloir « déclencher une guerre civile » et est suspecté par les forces de l’ordre d’être l’instigateur des affrontements qui avaient fait 12 blessés parmi les gendarmes le 30 octobre 2016. Et si les liens entre les coutumiers et les auteurs semblent aux yeux de tous évidents et pourraient donc mettre en échec une quelconque médiation pacifique, l’Etat se prépare également à utiliser la manière forte.

Une opération armée en préparation

C’est donc la première fois que cette « opération d’envergure » est évoquée publiquement par un représentant de l’Etat. Car, déjà en octobre 2016, l’Etat avait fait dire ici et là que les forces armées se tenaient prêtes à intervenir à l’intérieur de la tribu pour débusquer et appréhender les fauteurs de troubles et ceux qui tiraient sur les automobilistes ou les gendarmes. Avant que Ramon Nonaro ne soit finalement tué par un habitant de la tribu excédé par ses agissements, le commandement de la gendarmerie avait, avec le haussariat, préparé un plan pour « neutraliser les individus armés et dangereux ». C’est ce plan-là, remis au gout du jour et adapté à la nouvelle situation dont le secrétaire général a fait hier la présentation. Il consiste en une opération armée appelée « interpellation intermédiaire* » qui est généralement le domaine privilégié des pelotons d’intervention (« PI ») de la gendarmerie mobile ou de la Garde républicaine. Plus complexe et plus dangereuse qu’une « intervention élémentaire », celle-ci a été planifiée par des officiers militaires. Et pour cause, puisque la zone de Saint-Louis est particulièrement difficile d’accès et que les tireurs disposent de nombreuses cachettes tant dans les brousses que dans des habitations. Laurent Cabrera a ainsi prévenu qu’une telle opération pourrait très certainement entrainer des pertes humaines, tant du côté des tireurs de Saint-Louis que du côté des forces de la gendarmerie :

« Tout le monde connait le terrain à Saint-Louis. Une opération menée à l’intérieur de la tribu se traduira nécessairement, malheureusement bien sûr, mais nécessairement, par des pertes d’un côté ou de l’autre, voire des deux (Laurent Cabrera, secrétaire général du Haut-Commissariat, 30/01/17 ; sources : NC 1ère) »

Soulignant qu’une telle opération aurait « des conséquences lourdes », le représentant de l’Etat appelle les coutumiers et les proches des individus recherchés à tout faire pour pouvoir les livrer à la justice, de façon à garantir leur sécurité. La situation n’étant désormais plus tenable et plus acceptable tant par les Calédoniens que par les autorités, c’est en fait un ultimatum en bonne et due forme que l’Etat a adressé à tous ceux qui ont une responsabilité dans les agissements des quelques criminels qui empoisonnent la vie de dizaines de milliers de personnes depuis plusieurs mois. Quoi qu’il arrive désormais, les voyous auront été prévenus et devront accepter les conséquences de leur choix.

* À ce cadre traditionnel d’opérations planifiées (typiquement des interpellations domiciliaires dans le cadre d’opérations de police judiciaire) s’ajoutent les interventions en urgence en cas d’attaques terroristes telles que la France en a connu à l’automne 2016.