Le centrisme ou la menace : bienvenue à Münich-sur-Pacifique

Il a parlé calmement, presque tendrement. Il a évoqué la paix, les compromis, la modération. Mais derrière le vernis technocrate de Milakulo Tukumuli, c’est une autre réalité qui s’impose : si vous refusez l’accord, le pays brûle. Voilà la nouvelle équation politique calédonienne. Elle ne repose plus sur la vérité, ni sur la justice. Elle repose sur la peur. Une peur douce. Polie. Centrée. Programmée… Soumission.

Une interview bien apprise… mais sans âme politique

Invité du journal de NC1^ère le 23 mars 2025, Milakulo Tukumuli a livré une prestation parfaitement maîtrisée. Le ton était posé, le vocabulaire précis, les formules bien rodées. Mais derrière cette mécanique soignée, une absence saute aux yeux : celle d’une vision politique affirmée. Lorsqu’on l’interroge sur son rapprochement avec Calédonie Ensemble, il répond : « Il n’y a pas de rapprochement entre l’Éveil Océanien et Calédonie Ensemble. » Et dans le même souffle, il justifie leur liste commune au gouvernement : « Ce ne sont que des véhicules. »

Ce double discours traduit une logique purement tactique. À l’Éveil Océanien, on n’assume pas de position, on s’adapte. La politique devient une pratique de survie : avancer sans jamais trancher, s’agripper à ce qui passe. C’est le paradoxe de la fourmi embarquée sur une feuille morte : elle croit maîtriser sa direction, alors qu’elle dérive au fil de l’eau, portée par des courants qu’elle ne contrôle pas. Ce n’est plus une stratégie, c’est une manière de rester à flot, quelles que soient les alliances du moment.

“Si on dégèle, ça brûle” — la politique par la peur

La phrase est tombée sans trembler : « Si le corps électoral est dégelé, on brûlera ce qui n’a pas encore été brûlé le 13 mai. » Tukumuli ne menace pas. Il constate. Mais c’est là toute la ruse : dresser un scénario fatal tout en feignant la neutralité. Il ne propose ni médiation, ni responsabilité, ni pédagogie démocratique. Il installe une équation implacable : dégel = chaos. Et chacun est sommé d’en tirer les conséquences.

Ce discours ne repose sur aucune construction politique. Il est fondé sur un seul principe : les plus violents auront le dernier mot, parce qu’ils sont prêts à mettre le feu. Cela revient à essentialiser tous les Kanaks – comme incapables d’accepter une égalité électorale ou les principes démocratiques – et à infantiliser le reste de la population, sommée de “comprendre” pour éviter le pire. Ce n’est plus la politique qui civilise les rapports de force. C’est la peur qui dicte la ligne.

La main invisible de Gomès

« Nous avons beaucoup d’idées en partage avec Calédonie Ensemble. » La phrase est glissée au détour d’une réponse. Comme si de rien n’était. Quelques minutes plus tôt, Tukumuli assurait pourtant qu’il n’y avait « aucun rapprochement » entre son parti et celui de Philippe Gomès (ben tiens !). La réalité est plus claire que ses formules : il salue « le courage » de Calédonie Ensemble d’avoir fait tomber le 17ᵉ gouvernement, parle de valeurs communes, et monte avec eux une liste unique pour le suivant. Ce n’est pas un rapprochement, c’est une convergence assumée, pilotée, programmée.

Gomès, lui, ne dit plus un mot. Il s’est effacé des plateaux, retiré des micros. Il laisse parler les autres. Hier Dunoyer, aujourd’hui Tukumuli. Des porte-voix de rechange, pour diffuser le même signal sans jamais en assumer la source. Pendant ce temps, la mécanique avance. Les loyalistes, eux, sont tenus à distance. Lors du dernier débat prévu sur NC1^ère, le député Metzdorf devait échanger avec Jean-Pierre Djaiwé. Mais ce dernier a décommandé au dernier moment. Pour ne pas laisser un loyaliste seul en prime time, la chaîne a alors modifié le programme : exit Metzdorf, remplacé par un face-à-face entre le MEDEF et la Fédé. Résultat : pas de débat sur l’avenir, pas de voix politique dissonante, pas de son Loyaliste. Et le “consensus” continue de se construire, sans contradiction, comme une évidence molle dictée par l’absence.

Une indépendance programmée, un centrisme instrumentalisé

Lorsqu’il évoque une « souveraineté partagée », Milakulo Tukumuli ne fait pas mystère de son objectif. Il s’inscrit dans la lignée d’Edgard Pisani, qui, en 1985, avait proposé l’indépendance-association entre la Nouvelle-Calédonie et la France : un État souverain, juridiquement indépendant, mais lié à la République par des accords de coopération. Présenté comme un compromis, ce modèle n’est en réalité qu’une étape intermédiaire vers l’indépendance pleine et entière. C’est ce qu’on appelle un cliquet : une fois enclenché, impossible de revenir en arrière.

Tukumuli le dit lui-même : « la question n’est pas de savoir s’il y aura décolonisation, mais comment et quand. » L’accord qu’il appelle de ses vœux n’est donc pas une synthèse entre deux visions opposées, mais un mécanisme de sortie balisé, au service d’un objectif unilatéral. En se présentant comme un pivot raisonnable, un artisan de la solution “médiane”, il joue en réalité un rôle bien plus stratégique : rendre acceptable, sous couvert de modération, une trajectoire déjà écrite. Son centrisme n’est pas une passerelle, c’est une rampe de lancement.

La solution médiane… ou la stratégie de Munich

« Nous essayons de tirer les uns et les autres vers une solution médiane. » En apparence, Milakulo Tukumuli campe le rôle du modérateur : celui qui temporise, qui relie, qui évite les extrêmes. Mais derrière ce vernis de raison, ce centriste “apaisé” joue un tout autre rôle : celui de facilitateur d’un processus déjà verrouillé. Il ne neutralise pas les tensions, il les détourne. Il ne cherche pas le compromis, il prépare l’acceptation. Et sous couvert d’équilibre, il fait passer un cliquet politique maquillé en accord de paix.

Tout est dans le ton : « il faut aller vite, mais pas se précipiter. » Un rythme contrôlé, mais pour aller où ? Pour faire passer quoi ? Un accord dont les bases sont déjà posées, dont le point d’arrivée – la souveraineté de l’indépendance partagée en association – ne fait même plus débat. C’est la stratégie de Munich : céder à la peur pour éviter le choc. Sacrifier les principes pour obtenir le silence. Accepter la logique du plus violent, du plus menaçant, comme base de discussion. Comme en 1938, on ne croit pas faire la guerre. Mais on rend la guerre inévitable.

Ce qu’il faut dire, maintenant

On ne sortira pas de cette impasse par un faux équilibre. Pas en cédant aux plus menaçants. Pas en repeignant l’inacceptable en compromis historique. Ce pays n’a pas besoin d’un centre mou. Il a besoin d’un axe. Il faut le dire clairement, froidement : si on ne rétablit pas des principes clairs et une égalité réelle devant la loi, alors tout est déjà perdu. Pas parce qu’on aura refusé un compromis, mais parce qu’on aura tout cédé à ceux qui ne reconnaissent que la menace comme langage politique.

La démocratie ne se protège pas en reculant devant la violence. Elle ne se préserve pas en marchandant ses fondements. Elle tient par ceux qui les défendent, y compris quand ça dérange. Surtout quand ça dérange.