Milakulo Tukumuli : hommage à un artiste de l’opportunisme

En signant un accord avec les principaux partis constituant le FLNKS, le président de l’Eveil Océanien a décidé de donner le pouvoir aux élus indépendantistes au sein du congrès et du gouvernement local alors qu’ils sont minoritaires dans les institutions et dans les urnes. Grâce à cet accord, Milakulo Tukumuli est devenu l’homme politique le mieux payé et l’un des plus influents du territoire. Chapeau l’artiste !

« En démocratie, on a les élus qu’on mérite ». Mais les Calédoniens méritent-ils Milakulo Tukumuli ? Le destin météorique du président de l’Eveil Océanien parle pour lui. Après le premier référendum, Milakulo Tukumuli a su surfer sur le résultat du premier scrutin, sur la peur de l’avenir, les tensions communautaires et la nullité d’une partie de la classe politique loyaliste pour rassembler sur son nom aux dernières élections provinciales 6 077 électeurs (soit 5.52% du corps électoral), majoritairement issues de la communauté Wallisienne et Futunienne. Il faut dire que l’homme d’origine futunienne est diplômé d’un doctorat en Mathématique, qu’il est jeune, qu’il présente bien et qu’il donne l’impression de savoir de quoi il parle. Passant avec surprise le seuil des 5% d’inscrits en province Sud, le fondateur de l’EO a finalement obtenu trois sièges au congrès, lesquels ont un rôle charnière au sein de l’hémicycle. Et trois ans après son sacre, le président de l’Eveil Océanien a finalement décidé de signer un accord de gouvernement avec les partis indépendantistes et leur a donné les présidences de l’exécutif local et du congrès. Sous le feu des critiques, Milakulo Tukumuli a donc souhaité répondre à ses détracteurs dans un grand entretien accordé au quotidien local. Visiblement sur la défensive, le « faiseur de roi » de la politique calédonienne a tenté de justifier ses prises de position. Revue d’étape :

L’entrepreneur devenu socialiste

Ainsi, la semaine dernière, dans les Nouvelles Calédoniennes, Milakulo Tukumuli explique avoir rejoint le groupe UC-FLNKS et Nationalistes au Congrès afin d’obtenir les “moyens de travailler“. Le fondateur de l’EO ajoute : « Lorsque l’on parle de proposer des lois, il faut bien comprendre que c’est un véritable travail. Vous avez besoin de personnes mobilisées à vos côtés ». Pour autant, avec trois élus au congrès, l’EO disposait déjà d’une vice-présidence à la province Sud, d’un poste au gouvernement et des moyens de la présidence de la commission permanente du congrès (ce qui fait de l’élu Tukumuli l’un des mieux rémunérés du territoire), soit plus de moyens et de collaborateurs que n’en ont beaucoup d’autres mouvements politiques ayant pourtant obtenu plus de voix que l’EO aux dernières élections, que ce soit aux provinciales, aux municipales ou aux législatives (c’est le cas de Calédonie Ensemble, de Génération NC ou encore du Parti Travailliste* ou même du Rassemblement-LR). Secondo, le programme de l’Eveil Océanien et les textes de loi qui en découlent sont connus puisqu’ils ont été annoncés par Milakulo Tukumuli le 7 juin 2019 lorsqu’il avait dû se justifier de voter pour le loyaliste Thierry Santa à la présidence du gouvernement (en échange alors d’un poste de ministre). L’EO s’engageait ainsi à « extirper tous les Calédoniens de la précarité et à tirer la classe moyenne vers un mieux-être et un mieux-vivre ». Et parmi les dix mesures « prioritaires » et « non négociables » de son « New Deal » qu’il entendait mettre en place figuraient :

• L’augmentation immédiate du SMIG de 10%,
• Un abattement total ou partiel des charges sociales, pour les salariés comme pour les patrons, pour les petits salaires,
• La suppression des charges sociales pour les entreprises de production locale,
• La suppression de tous les monopoles publics et privés, y compris les télécommunications ou les dessertes aériennes,
• La formation et le passage du permis de conduire dans tous les cursus scolaires,
• Le plafonnement du prix de l’assurance pour les véhicules légers, etc.

Bien évidemment, aucune de ces réformes – qui répondaient il est vrai aux attentes d’une partie importante de la population, notamment des actifs – n’a été ni préparée, ni examinée, ni encore moins votée par les élus de l’Eveil Océanien et leurs cabinets respectifs depuis qu’ils sont au pouvoir. Lorsque l’EO a fait ces annonces, il s’agissait à l’époque simplement de faire passer le deal avec le Rassemblement-LR : Les annonces de baisses de charges ont ainsi été faites afin de séduire l’électorat de la droite locale et les annonces d’augmentation du SMIG ont été prononcées afin de plaire à son propre électorat, majoritairement populaire. Les médias se sont ensuite chargés de propager les fameuses promesses. De la même manière, Milakulo Tukumuli adapte aujourd’hui son discours à l’air du temps et le prouve en changeant radicalement ses engagements puisque ses derniers vont à l’encontre de ceux qu’ils défendaient il y a deux ans à peine. Ainsi, il s’engage désormais dans le cadre de l’accord avec les indépendantistes à « sauver le RUAMM » (en augmentant les cotisations de ceux à qui il avait promis de les supprimer trois ans plus tôt), à « abroger les taxes sur l’essence », à « réformer la fiscalité », à « créer un habitat océanien » et à imposer un gel des prix par des « mesures STOP ».

Ne vous braquez pas, ça va bien s’passer

Parce qu’il a très bien perçu que tout le monde avait compris que son alliance avec le FLNKS ne reposait que sur un « marchandage » et des intérêts personnels, Milakulo Tukumuli sent qu’il n’est pas trop en odeur de sainteté auprès de l’opinion publique. C’est pourquoi il demande aux Calédoniens d’arrêter de s’indigner :

« Il ne faut pas que les Calédoniens se braquent, car les accords politiques, qu’on le veuille ou non, quelle que soit sa tendance, existent depuis toujours (Milakulo TUKUMULI, 29/08/22 ; sources : LNC) »

D’ailleurs pour minimiser son rôle dans toute cette histoire, le président de l’Eveil Océanien précise que le genre d’accord qu’il a passé avec les indépendantistes permet normalement d’obtenir « la présidence du congrès ou du gouvernement » mais que l’Eveil Océanien, lui, « n’a jamais demandé ça ». Et pour cause puisqu’il ne représente que 3 élus du congrès sur 54. Pour autant, chacun pressent bien que cette demande pourrait devenir un jour une exigence.

Milakulo Tukumuli va forcer les indépendantistes à se mettre autour de la table !

Qui aurait crû qu’un homme politique local réussirait à faire plier les indépendantistes ? En effet, dans son passionnant entretien aux Nouvelles-Calédoniennes, le président de la commission permanente du congrès nous apprend que l’une des conditions qui a permis la signature de l’accord est la promesse des élus de l’UNI et de l’UC, de l’UPM et du RDO de participer, avec les Loyalistes et l’Etat, aux discussions de sortie de l’Accord de Nouméa :

« Je rappelle enfin qu’une de nos conditions pour signer l’accord avec les indépendantistes, au-delà des moyens, est qu’ils se mettent autour de la table avec les loyalistes pour évoquer l’avenir de la Nouvelle-Calédonie. Nous voulons faire avancer le pays, pas notre parti ! (Milakulo TUKUMULI, 29/08/22 ; sources : LNC) »

Bien évidemment, il n’est même pas utile de rappeler les derniers propos de Daniel Goa pour savoir que cette promesse de Milakulo Tukumuli, de convaincre les indépendantistes à participer aux futures négociations, n’est que du vent. De plus, elle s’apparenterait presque à un manque de respect vis-à-vis des leaders du FLNKS et au-delà de tous les Calédoniens : chaque habitant de cette terre sait en effet très bien que ce n’est pas Milakulo Tukumuli qui fera plier Paul Néaoutyine, Daniel Goa, Roch Wamytan ou encore Jacques Lallié… Ces propos – étrangement assez nigauds de la part d’un homme qu’on nous présente comme intelligent – démontrent simplement que, comme d’habitude, Milakulo Tukumuli cherche juste à donner des gages à l’opinion publique qui se « braque » à son endroit puisqu’elle est majoritairement opposée à l’indépendance. Quant à la (nouvelle) raison qui l’aurait fait basculer du côté indépendantiste, elle repose selon lui sur le « courage » des élus du FLNKS et la « stabilité » que représenterait le gouvernement de Louis Mapou :

« Les indépendantistes, eux, font preuve de courage et réforment le pays. C’est plus difficile, car ils le font avec une crise Covid et en récupérant une situation financière catastrophique. À présent, nous sommes frappés par une crise conjoncturelle qui crée de l’inflation… Mais les indépendantistes font preuve de stabilité (Milakulo TUKUMULI, 29/08/22 ; sources : LNC) »

A noter que depuis un an, aucune réforme importante n’a été mise en œuvre de la part de l’exécutif local, celui-ci se contentant d’appliquer les mesures que ses prêteurs financiers (c’est-à-dire l’Etat au travers de l’AFD) lui ont imposées lors de la signature des différents prêts COVID. Des emprunts sans lesquels la Calédonie serait en incapacité de boucler son budget. On est donc en droit de se demander où sont les preuves de ce fameux « courage » des élus indépendantistes…

Quant à l’inflation qu’évoque Milakulo Tukumuli, celle-ci est créée par une crise structurelle et non conjoncturelle qui est liée – pour les pays de l’Euro – essentiellement à l’utilisation de la planche à billet de la BCE avec le fameux « quoi qu’il en coûte » mis en œuvre depuis dix ans et accentué durant la crise sanitaire. L’inflation actuelle résulte en effet majoritairement d’une dépréciation de la monnaie euro par rapport aux monnaies étrangères (-17% en 1 an) et non d’une augmentation sporadique du prix des matières premières… (Autrement dit : le billet de 1000 francs des Calédoniens ne vaut plus aujourd’hui que 830 francs sur le marché international, raison pour laquelle les produits issus de l’extérieur sont beaucoup plus chers à leur entrée sur le territoire. CQFD) Un fait que ne semble pas avoir appréhendé Milakulo Tukumuli puisqu’il estime que cette situation est « conjoncturelle » alors qu’elle est, au contraire « structurelle » et donc amenée à perdurer…

Le roi du Tukumulistan ?

Si personne ne doutait que Milakulo Tukumuli n’était pas économiste, il s’avère qu’il n’est pas non plus indépendantiste (quoi qu’en dise ses adversaires). Et il n’est pas non plus loyaliste. Il n’est pas davantage autonomiste. C’est bien plus simple. Milakulo Tukumuli est en vérité Tukumuliste : comme tout bon politicien qui se respecte, il peut promettre n’importe quoi (sur le moment) en échange de postes, de pouvoir et de moyens supplémentaires pour lui et ses proches. Et il va toujours au plus offrant. Comme l’histoire récente le prouve, ses promesses et ses convictions changent au grès du vent que ses prises de parole provoquent. Idéologiquement incohérent, la seule et unique trace de cohérence dans son parcours semble être la manière avec laquelle il privilégie toujours des choix politiques qui vont dans le sens de ses propres intérêts. Et parce qu’on a toujours « les élus que l’on mérite », il est probable que ses propres électeurs et une partie de la communauté wallisienne et futunienne soient assez fiers de son parcours. Car s’il est probable qu’il ne reste pas grand-chose de son « action » au sein des institutions et que son bilan fera très vraisemblablement pitié à voir, il aura en tout cas démontré au cours de cette mandature que dans le système calédonien, les profils opportunistes peuvent se tailler une belle place au soleil. Décidemment, chapeau l’artiste !  

*Lors de la dernière mandature 2014-2019, le Parti Travailliste disposait, comme actuellement, d’un siège au congrès mais l’accord avec les autres partis indépendantistes lui avait permis à l’époque d’obtenir des moyens supplémentaires en termes de collaborateurs ainsi qu’un membre au sein du gouvernement en la personne de Georges Mandaoué. Aujourd’hui, avec la même représentativité, le Parti Travailliste est totalement mis de côté par l’UC car cette dernière n’a plus besoin de son soutien…