Sentences 3G : le patronat en ébullition

Depuis l’annonce des peines prononcées dans le cadre du procès de la 3G, les chefs d’entreprises calédoniens s’interrogent. Rajoutées à la crise économique qui s’installe, les sentences à l’égard des personnalités civiles ont semble-t-il fait l’effet d’une douche froide et le sentiment d’inquiétude prédomine chez les entrepreneurs. Conséquences et anecdotes.

Lundi soir, dans un restaurant des baies, la mine grave, trois hommes discutent. L’auteur de ses lignes, témoin anonyme de leur discussion, écoute en silence leur discussion à une tablée de-là. Au cœur de leurs échanges, les peines prononcées par le président du tribunal de Nouméa le jour-même, dans le cadre du verdict de l’affaire dite de la 3G. « Il n’y a aucune ambiguïté sur le message délivré (…) quelle que soit l’origine de la faute, les patrons doivent payer. On est carrément dans un délit de faciès économique » Bien connu au sein du Landerneau local, un célèbre promoteur assène son ressenti. « Inique », « partial » les mots sont ciblés et se focalisent non pas sur la peine prononcée à l’encontre de l’ancien président du gouvernement Harold Martin mais bien sur celles de ses deux coreligionnaires : à savoir l’homme d’affaire Jean-Marc Bruel et le comptable Thierry Granier. A sa droite, un chef d’entreprise lui répond « on a enfin la preuve de la façon dont sont considérés les patrons ! ». Car si l’annonce de la condamnation n’a fait ni chaud ni froid à beaucoup ou a enchanté certains, c’est en revanche au niveau du curseur des peines que les esprits s’échauffent. Le troisième comparse affirmant que avec « ce genre de décision arbitraire (NDLA : l’interdiction d’exercer), y-a pas mieux pour stopper la confiance (…) et au final fini l’investissement ». S’en suit une discussion à bâton rompu sur les mauvais chiffres de l’économie, la nouvelle politique de rigueur des collectivités et surtout le fait « que dans ce pays on peut tuer quelqu’un avec sa voiture et être libre comme l’air » mais que dans le même temps « si on connait des politiques, on va direct en tôle ». Et l’un d’eux expliquant inquiet qu’il a lui-aussi dans son portable le numéro personnel de bon nombre de responsables politiques…

« Il faut fuir les hommes politiques ! »

Bien averti et parlant à demi-mot, l’un des trois entrepreneurs, co-président d’une grande organisation patronale, explique sobrement qu’il va falloir désormais éviter « au maximum, tout contact » avec les responsables politiques. Pour lui, peu importe le sort de l’ex-président du gouvernement car de toute façon « vu sa peine, il ne fera pas un jour au Camp Est » et puis « Harold c’est un coriace » affirme-t-il. En revanche, le fait que des hommes d’affaires soient envoyés en prison en écopant « trois fois plus que celui qui prend les décisions » aura eu le mérite de délier les langues au sein du microcosme économique. Pour le dernier convive, il n’y aurait plus guère le choix : « Il faut fuir les politiques » d’autant qu’il estime ensuite que les forces économiques se retrouvent souvent au cœur de leur « joutes incessantes ». A quelques tablées de là, finissant leur repas, un homme d’affaires se lève en compagnie d’un journaliste de Nouvelle-Calédonie 1ère. Et tout le monde se salue d’un signe de la tête…

Anecdotique ou symptomatique ?

Si cette discussion, captée dans le vif, reste peut-être anecdotique, elle n’en est pas moins éclairante quant au climat des affaires en Nouvelle-Calédonie. Dans un pays grand comme la Belgique mais moins peuplé qu’une ville telle que Nantes et où « tout le monde se connait », la décision de justice du 9 novembre dernier devrait certainement marquer les esprits et surtout les comportements. D’autant plus qu’on s’interroge sur l’influence du Gouvernement national dans ce procès. En effet, les oreilles de l’actuel Directeur de Cabinet de la ministre de la Justice ont dû siffler depuis ces tous derniers jours. Car Christiane Taubira, dont on connait ici et là les velléités politiques, s’est offert en juin dernier les services d’Alain Christnacht, grand connaisseur des hommes et des dossiers calédoniens. Un homme dont l’ombre a semble-t-il plané ces derniers jours du côté du Boulevard Extérieur. Celui-là même qui avait subi les foudres de plusieurs responsables politiques non-indépendantistes du territoire lorsqu’en juillet 2014 il avait monté avec l’appui de Manuel Valls une « mission » avec Jean-François Merle censée préparer la sortie de l’Accord de Nouméa. Le tôlée autour de l’organisation de cette mission prosocialiste jugée trop « partisane » avait été tel que les deux haut-fonctionnaires avaient dû faire machine arrière et, se faisant, renoncer à marquer de leur empreinte l’avenir du territoire. L’orgueil ayant pu être touché, faut-il y voir une cause à effet ?