Scoop : les audiences (et les budgets) des médias calédoniens !

Alors que la société Holdennah (du groupe Dang) a mis la main sur le pôle numérique de l’ancien quotidien Les Nouvelles calédoniennes, quelle est la situation du paysage audiovisuel calédonien ? L’étude des derniers chiffres de Médiamétrie, pour la période-septembre-octobre 2022, est l’occasion d’y apporter un début de réponse. Audiences, parts de marché, montant des aides publiques reçues et budgets comparatifs : chiffres exclusifs et dossier complet.

Un lecteur assidu a fait parvenir à la rédaction les derniers résultats de l’enquête de Médiamétrie en Nouvelle-Calédonie, dont il ressort les tendances suivantes : côté télé, NC1^ère conserve sa place de leader de l’audience et écrase la concurrence (et en particulier sa rivale locale Calédonia, qui peine à trouver sa place dans le paysage médiatique local). Du côté des radios, RNC1ère se maintient en province Nord mais se fait détrôner en province Sud par Océane FM et RRB. Radio Djiido, quant à elle, voit ses parts de marché diminuer plus faiblement que celles de NRJ qui, comme France Inter, a perdu en deux ans la moitié de son audience. Les données de Médiamétrie sont particulièrement intéressantes puisque cet institut privé est spécialisé dans la mesure des audiences et dans l’étude des usages des médias audiovisuels et numériques dans toute la France. Or, parce que cet organisme est agréé par l’ARCOM et par l’INA (il leur fournit enquêtes et tranches horaires exactes des programmes diffusés ainsi que la certification de diffusion des publicités), les résultats des enquêtes de Médiamétrie influencent constamment le fonctionnement et la stratégie de tous les grands médias. Cibles, régions, durées d’écoute, horaires ou encore caractéristiques socio-économiques des audiences sont quantifiables et observables via les données issues des nombreuses enquêtes téléphoniques ou numériques que réalise régulièrement cette société privée*. Aussi, parmi ces informations, deux nous ont semblés particulièrement éclairantes, à savoir d’une part les audiences cumulées des différents médias locaux (c’est-à-dire le nombre d’auditeurs ou de téléspectateurs total pendant une période donnée, ici en l’occurrence du lundi au vendredi, de 05h à 24h) et d’autre part les parts d’audience (PdA), c’est-à-dire les parts de marché des uns et des autres. L’institut Médiamétrie n’ayant pas effectué d’étude aux îles Loyauté, les résultats ont été présentés dans leur globalité s’agissant des audiences cumulées et par province (Sud et Nord) en ce qui concerne les parts de marché pour la période de septembre à octobre 2022.

Audiences télé : TNC1^ère largement devant, suivie par TF1, France 2 et Calédonia

TNC1^ère représente presque un tiers du marché télévisuel calédonien (30,9%). Chaque semaine, en moyenne, plus de 115 000 téléspectateurs regardent les programmes de Nouvelle-Calédonie Première, notamment son journal télévisé, lequel représente environ 80% de son audience cumulée (soit 90 000 téléspectateurs sur NC1^ère entre 19h et 20h). Cependant, malgré ces bons chiffres, l’audience de TNC1^ère est en baisse de 6 points par rapport à 2021 ; une chute d’audience que l’institut lie (en Nouvelle-Calédonie comme ailleurs) à la fin de la crise sanitaire. De même, Calédonia perd un point et passe sous la barre des 5% d’audience au niveau territorial (4.9% PdA en 2022 contre 6.1% en 2021). La chaîne dont le capital est détenu en majorité par la Province Nord et par le groupe Dang présente une audience cumulée de 23 000 téléspectateurs en moyenne. Concernant ses parts de marché, avec 5.3% en Province Nord, la chaîne se hisse à la 4^ème place, dépassant les 4.6% de Novelas TV. Cependant, les téléspectateurs du Nord lui préfèrent TF1 et France 4, respectivement seconde et troisième du classement derrière NC 1^ère. S’agissant de la province Sud, Nouvelle-Calédonie 1^ère passe pour la première fois sous la barre des 30% d’audience (29.7% PdA). Suivent, dans l’ordre, TF1 (10.4% PdA), France 2 (8.6% PdA), la chaîne M6 (4.9% PdA), Canal+(4.7% PdA) et en 6^ème place la chaîne locale Calédonia TV (avec 4.7% PdA).

Audiences radios : Un trio de tête composé de RNC1^ère, Océane et RRB. Djiido se maintient. France Inter en baisse. NRJ en vente. 

Concernant les médias radiophoniques, parmi les six stations détenant des autorisations d’émettre sur le territoire de la Nouvelle-Calédonie, hormis France Inter, cinq sont locales. Et c’est RNC1^ère, radio du groupe France Télévisions, qui reste en tête du classement, si l’on en juge aux chiffres des audiences cumulées. Ainsi, RNC1^ère comptabilise, selon Médiamétrie, plus de 60 000 auditeurs sur l’ensemble de la Nouvelle-Calédonie (soit 26.6% de PdA). Des résultats plutôt décevants pour France Télévisions puisqu’ils sont en baisse de près de 9 points avec les audiences de 2021 (35.3% de PdA à l’époque soit 17 000 auditeurs perdus en un an). Présente essentiellement dans l’agglomération du Grand Nouméa, Océane attire quant à elle plus de 58 000 auditeurs, ce qui place la radio associative sur la seconde place du podium calédonien et leader en province Sud (avec 29% de PdA en hausse de 5 points par rapport à 2021). Quant à RRB (Radio Rythme Bleu), elle est écoutée par près de 55 000 auditeurs sur l’ensemble de l’archipel (22.9% de PdA). La radio loyaliste rassemble en moyenne 23.4% des auditeurs de la province Sud et surtout 28.6% de ceux de la province Nord. Quatrième du classement, radio Djiido voit ses audiences baisser légèrement et ne réunit plus que 41 000 auditeurs chaque semaine (contre 45 000 en moyenne en 2020). Avec 18.3% de PdA sur l’ensemble de la Nouvelle-Calédonie (contre 16.5% en 2021), la radio indépendantiste subi un fort recul de son audience en province Nord (42.5% de PdA en 2020 contre 30.4% de PdA en 2022) bien que ses parts de marché s’accroissent continuellement dans le sud (8.9% de PdA en 2020 contre 11.5% de PdA en 2022). Quant à NRJ et à France Inter, les deux radios voient leur audience respective divisée par deux. En 2022, NRJ ne représentait en effet plus que 5% de PdA en province Sud alors qu’avant la crise sanitaire, la radio privée réunissait 11.2% de l’audience (Cf. enquête Médiamétrie de 2020). Si l’étude Médiamétrie n’évoque pas les raisons sous-jacentes à ces modifications du marché, il apparait que la baisse démographique actuelle et le départ de nombreux habitants du territoire ces dernières années ont eu un certain impact sur les audiences des médias locaux. Ainsi, confrontée à des pertes financières importantes, la SAS Melchior (qui possédait les Nouvelles Calédoniennes) a annoncé à la fin du mois de mai 2023 la vente de 100% des parts sociales de la SARL Nouméa Radio Joker, laquelle gère la retransmission de la radio NRJ-Nouvelle-Calédonie.

Les budgets des différents médias TV & Radios de Nouvelle-Calédonie

Contrairement aux idées reçues, il est de plus en plus aisé de connaître le budget des médias traditionnels (presse, télé et radio) puisque ceux-ci sont – dans la majorité des cas – de plus en plus soutenus par les pouvoirs publics. Or, dans une démocratie avancée, l’utilisation des fonds publics fait toujours l’objet de procédures de contrôle tant au niveau communautaire, qu’au niveau interne, par les collectivités elles-mêmes ou par les chambres régionales des comptes. D’autres moyens de contrôle peuvent être mis en œuvre comme l’audit des organismes bénéficiaires, ou le contrôle de l’opportunité des subventions, par des organismes extérieurs, etc. De plus, en Nouvelle-Calédonie, les observateurs attentifs de l’actualité locale disposent de l’ensemble des travaux issus des discussions de ces vingt dernières années sur l’avenir institutionnel ou, en tout cas, de ceux qui ont été rendus publics. Ainsi, concernant le transfert de la compétence « communication audiovisuelle », son étude a déjà été réalisée à l’occasion du XII^ème comité des signataires. De plus, dans le cadre de la réalisation du fameux document sur les conséquences du OUI et du NON à l’indépendance, tous les aspects budgétaires, financiers, logistiques et humains du transfert de cette compétence ont été mesurés et rendus publics. Ainsi, par exemple, le budget de Nouvelle Calédonie 1^ère est parfaitement connu, s’établissant à environ 3 milliards de francs par an dont 2,8 milliards de fonds publics (23,282 millions d’euros). Celui-ci est inscrit dans le budget du groupe France Télévisions (3 milliards d’euros) lequel provient du ministère de la culture. Ainsi, afin de préparer un transfert éventuel de la chaîne à la Nouvelle-Calédonie, il y a dix ans, la Direction Générale des Médias et des Industries Culturelles (DGMIC) avait dressé un bilan comptable des biens, des budgets et des moyens de NC1^ère :

Quant aux autres, parce que les principaux médias calédoniens sont bénéficiaires d’aides publiques (sous forme de subventions, d’aides à la presse ou de financements directs), ils sont tenus de rendre compte aux institutions de l’utilisation des sommes perçues et, par conséquent, de faire connaître leurs budgets et la part des fonds publics qui les constituent. Ainsi, dans un reportage réalisé il y a quelques semaines, la chaîne Calédonia a révélé le montant des aides publiques qui sont, chaque année, octroyées par les institutions aux médias télé et aux radios. Connaissant leur budget, la proportion de fonds publics et le nombre moyen d’auditeurs, nous avons regroupé ces données dans un tableau comparatif.

Aides publiques :  un souci d’efficience ? 

Ainsi, le poids économique des deux télévisions et des cinq radios locales représente chaque année environ 4 milliards de francs, dont 3,43 milliards proviennent de fonds publics (soit 85%). Naturellement, par son importance et grâce à l’enveloppe budgétaire fournie par l’Etat (via le ministère de la culture et autrefois issue de la redevance audiovisuelle), le groupe France Télévisions dispose à lui seul de 75% des financements alloués à tous les médias traditionnels de Nouvelle-Calédonie. On s’aperçoit aisément que, via un budget dix à trente fois supérieur à ceux de tous les autres médias locaux, la filiale de France Télévisions écrase en termes de moyens financiers purement et simplement tous ses concurrents. Or, c’est bien une spécificité calédonienne puisque, au sein du groupe France Télévisions et plus particulièrement de sa filiale Outre-mer 1^ère, la succursale NC 1^ère coute bien plus cher*** que ses homologues de Réunion 1ère (18.5 millions d’euros de budget annuel) ou de Polynésie 1ère (16.6 millions d’euros de budget annuel). De plus, comme indiqué sur le graphique ci-dessus, le budget de NC 1^ère est complété par des ressources publicitaires issues du privé lesquelles sont plafonnées à 10 % de ses ressources (soit 280 millions/an) et ce afin de ne pas « anéantir la concurrence** ». En 2013, la DGMIC évaluait celles-ci à 51 millions (soit 430.000 euros) pour ses recettes de parrainage et à 200 millions (soit 1,689 Million d’euros) pour ses recettes publicitaires (chiffre indiqué dans le tableau comparatif). A l’aune de celui-ci, force est de constater que si l’on considère les choses du point de vue de l’efficacité et des résultats (c’est-à-dire de l’audience), l’argent public n’est pas réparti de façon équitable entre les différents médias du territoire. Ainsi, sur NC 1^ère, un auditeur « coûte » au contribuable près de 16 000 francs par an alors que le même auditeur « coûte » dix fois moins sur radio Djiido. Dans le cas de la radio privée NRJ, celle-ci (une société privée) ne dispose tout simplement pas d’aide des collectivités et ne coute donc rien au contribuable, qu’il soit calédonien ou métropolitain. Reste qu’en tout et pour tout ce sont bien 29 millions d’euros de fonds publics qui servent tous les ans à financer la quasi-totalité des médias traditionnels de Nouvelle-Calédonie.

La malédiction de France Ô…

En Nouvelle-Calédonie comme ailleurs, l’utilisation des fonds publics n’est pas souvent corrélée avec l’efficacité ou le succès, du moins celui escompté. Dans le cas des aides publiques à la presse (et dans notre cas, des télés et des radios), la puissance publique a, là-aussi, bien du mal à gérer ses investissements dans le temps, voire à faire bon usage des deniers publics. En effet, quels médias sont pertinents, écoutés, regardés, lus et utiles ? Lesquels doivent être aidés ? Faut-il d’ailleurs les aider ? Qui en décide ? Quels sont les critères permettant de les comparer ? Quelle équité dans l’octroi des aides publiques ? Et quelle efficience du service-rendu pour l’auditeur-contribuable ? Parce que leurs réponses ont une influence sur le paysage médiatique – et donc sur la perception du monde que celui-ci nous présente chaque jour – ces questions prennent de plus en plus de place dans le débat public. Alors que la Nouvelle-Calédonie se demande encore ce qu’elle va devenir, à l’instar des périodes charnières de son histoire, elle s’interroge aussi sur la place, le rôle, la fonction et la responsabilité de ses principaux médias. Aussi, il est important de se souvenir qu’en matière de politique de communication audiovisuelle, le secteur public présente un sacré défaut : il est, à cause notamment de son poids, incapable de s’adapter et d’évoluer dans un temps court ou en cas de crise. Ainsi, le groupe France Télévisions a mis quinze ans avant de fermer définitivement la chaîne France Ô alors que n’importe quel chef d’entreprise l’aurait fermé au bout de trois ans. Créée en 2005 en remplacement de RFO Sat, la chaîne n’a jamais trouvé son public mais a été maintenue vaille que vaille, et ce malgré une équipe de 50 personnes, un coût annuel de 30 millions d’euros et des audiences plafonnées entre 0,3% et 0,6%. Dernier Directeur Général-adjoint de la chaîne, c’est d’ailleurs le calédonien Walles Kotra (ancien DG de RFO) qui aura eu la tâche de fermer la boutique et d’éteindre la lumière derrière lui. En effet, alors qu’aucune chaîne de télévision française n’avait cessé d’émettre depuis la Cinq, en 1992, France Ô a mis fin à ses programmes le 24 août 2020 à 0 h 49 dans le plus parfait anonymat et a finalement coupé son signal sur la TNT, dans l’indifférence générale, le 2 septembre 2020. Reste qu’entre la décision de 2005 et 2020, plus de 450 millions d’euros ont été dilapidés en pures pertes pour faire fonctionner cette chaîne que nul ne regardait, tout cela pour plaire à une audience fantôme ou fantasmée… Dix-huit ans après, qui pourrait sérieusement affirmer qu’après avoir dépensé un demi-milliard d’euros pour France Ô, l’objectif du groupe France Télévisions visant à « faire découvrir à la France métropolitaine la diversité culturelle et la France d’outre-mer » aura été atteint ? Chaque ultramarin français sait que, dans l’imaginaire collectif métropolitain, l’outre-mer est perçu non plus comme une chance mais bien comme une charge. Mais à qui la faute ? Sont-ce les ultra-marins et les collectivités d’outre-mer qui ont demandé au groupe France Télévisions (ou à d’autres) de gaspiller de l’argent public pour faire soi-disant leur promotion ?  Ou ne serait-ce pas plutôt – et comme toujours – la puissance publique (ici France Télévisions) qui ne sait pas faire de bons investissements ni bien gérer l’argent des contribuables ? Le débat est ouvert.

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* Médiamétrie dont le capital est détenu à 23.86% par France Télévisions et à 10.34% par Radio France.

** Contrairement aux autres chaînes du groupe France Télévisions, Nouvelle Calédonie 1^ère dispose d’une dérogation quant à l’interdiction de la publicité après 20h.

*** Selon la DGMIC, chaque année, 2,189 milliards de Francs cfp sont versés aux employés de NC1^ère. Le nombre de postes (appelés Equivalent Temps Plein dit « ETP ») est exactement de 162. Le coût moyen des agents de NC1^ère est ainsi de 13.515.432 Fcfp/an. Chaque agent travaillant pour la filiale locale de France Télévisions coute donc en moyenne 1.126.286 Fcfp/mois au contribuable métropolitain.