Retour à la case départ : la grande farce républicaine ?

Depuis deux siècles, la France tourne en rond. Elle avance à reculons, se pavane sur la scène internationale comme une grande dame du passé, mais trébuche à chaque tentative de modernité. Nous sommes en 2024, et à bien y regarder, rien n’a changé depuis 1789. Le décor est différent, les costumes ont évolué, mais le scénario reste désespérément le même. Rappelez-vous dans vos cahiers d’écoliers les États Généraux, cette réunion d’urgence convoquée par un roi dépassé, étranglé par les dettes et détesté par son peuple. Pourquoi en était-on arrivé là ? Parce que tout semblait figé, immuable, absurde et que l’Etat était ruiné. La monarchie était délégitimée (elle avait perdu la guerre de sept ans), incapable de réformer quoi que ce soit. Les caisses étaient vides, siphonnées par l’aide à la nation américaine naissante, par les rentes de situation d’une noblesse décadente et par un clergé omniprésent, pendant que le Tiers-État — autrement dit, tout le monde sauf les privilégiés — se tuait à la tâche, écrasé par les impôts*. Les Français avaient faim, de pain comme de justice, et tout ce système baroque s’est effondré dans un fracas grandiose. La Révolution ! Liberté, Égalité, Fraternité ! Une nouvelle ère s’ouvrait. Enfin, c’est ce qu’on croyait.

Les illusions perdues

Nous voici en 2024, et franchement, on se demande si cette grande Révolution n’était pas une immense partie de Monopoly où tout le monde serait retourné à la case départ. Certes, le décor a changé. Il n’y a plus de perruques poudrées ni de carrosses à chevaux (quoique, vu le prix de l’essence, ça reviendra peut-être). Mais les mécanismes, eux, sont restés intacts, simplement relookés pour coller à l’air du temps. Prenons l’exemple de Louis XVI. On le disait bien intentionné mais incapable de prendre les décisions nécessaires pour sauver la monarchie. Aujourd’hui, il s’appelle Emmanuel Macron. Même posture de monarque éclairé (ou auto-proclamé tel), même incapacité à sortir de sa tour d’ivoire pour comprendre son peuple. Et autour de lui, une cour de ministres courtisans qui rivalisent de flagornerie. Et que dire de Necker, ce ministre des Finances qui, dans les années 1780, s’est échiné à emprunter à tout va pendant de longues années avant de se retirer précipitamment, laissant au trône une dette colossale ? Son héritier moderne n’est autre que Bruno Le Maire. Même obsession pour les artifices comptables, même incapacité à préparer l’avenir, mêmes facilitées : l’emprunt. 1000 milliards de dettes en sept ans. Après moi, le déluge. Le premier avait vidé les coffres pour maintenir l’illusion d’une prospérité en carton, l’autre a fait à peu près la même chose, sauf qu’il appelle cela de la “responsabilité budgétaire”. Après leurs méfaits, ces clones ont eu tous deux le même reflexe : se carapater en Suisse, à l’abris de la tempête financière qui arrive. Quant à Philippe d’Orléans, ce cousin royal qui joua les traîtres pour se rapprocher des Révolutionnaires, il a aujourd’hui un successeur tout trouvé en la personne de Gabriel Attal. Jeune, brillant, et déjà maître dans l’art du double jeu. Tour à tour loyal serviteur et critique feutré du régime, prêt à saisir le vent de l’histoire si celui-ci venait à tourner. Une constante française, cette capacité à trahir au bon moment.

Le clergé médiatique et le tiers-état moderne

Et notre clergé, alors ? Disparu, dites-vous ? Pas du tout. Il a juste changé de soutane pour devenir médiatique. Ce sont les journalistes, les chroniqueurs, les éditorialistes, qui jouent aujourd’hui les gardiens du temple. Ils nous prêchent la bonne parole chaque soir sur des chaînes subventionnées ou détenues par quelques oligarques proches du pouvoir. Parmi eux, ceux qui ne chantent pas les mêmes cantiques sont des hérétiques. Leur credo ? Défendre un système qui ne fonctionne plus, mais qui assure leur confort et leur influence. Un véritable clergé 2.0, payé par nos impôts ou par quelques milliardaires, les seigneurs de notre temps, qui se disputent les faveurs de l’État. Et puis, il y a la masse. Le peuple. Le Tiers-État de jadis a laissé place à ce qu’on appelle pudiquement “les actifs”. En clair, ceux qui bossent, paient des taxes absurdes, et regardent avec amertume leurs fiches de paie amputées de 55 %. Les “braves gens” qui votent pour des partis que l’élite qualifie d’extrémistes ou de populistes. Pas parce qu’ils aiment ces partis, mais parce qu’ils n’ont plus confiance dans ce régime, même s’il n’est plus « Ancien ». Ils sentent bien qu’on se fiche d’eux. Et ils n’ont pas tort. Car soyons honnêtes : ce système est au bord de l’implosion. La dette publique dépasse notre PIB et les intérêts de la dette constitueront l’année prochaine la première dépense de l’Etat. Les services publics s’effondrent alors qu’ils n’ont jamais disposé d’autant de financements, et chaque décision politique semble dictée par la peur de provoquer une nouvelle crise sociale. Tout est bloqué, comme en 1788. Les rentes de situation de la génération des Boomers (ceux qui ont eu une belle vie et qui conseillent aujourd’hui aux jeunes d’“arrêter Netflix et de traverser la rue”) sont devenues des privilèges indus. La moitié de la dette française étant contractée pour équilibrer la pyramide de Ponzi du système de retraite par répartition. Nos institutions sont paralysées. Et la colère gronde.

Vers un nouveau 1789 ?

Le clou du spectacle ? La Nouvelle-Calédonie. Oui, ce territoire lointain que beaucoup de Français peinent à situer sur une carte pourrait bien précipiter une nouvelle crise. Le Président, acculé par l’incapacité de son gouvernement à résoudre quoi que ce soit, devra bientôt réunir le Congrès à Versailles pour une réforme constitutionnelle. C’est le Conseil d’Etat qui l’a dit. Cela ne vous rappelle rien ? Une assemblée d’élus rassemblés dans un lieu symbolique, chargés de trouver une solution à un problème insoluble ? Retour aux États Généraux, en somme. La boucle est bouclée. Alors, combien de temps encore avant que les Français se décident à sortir de ce cercle vicieux ? Combien de temps avant qu’ils se résolvent à adopter un régime parlementaire, comme tous leurs voisins européens ? Ce modèle qui, s’il n’est pas parfait, a au moins le mérite de fonctionner. Un régime où les compromis sont nécessaires, où les décisions (ou les erreurs) ne reposent pas sur un seul homme, et où les réformes, aussi impopulaires soient-elles, peuvent être légitimes.

Le mur de la dette et le miroir de l’histoire

Nous sommes face à un mur. Un mur de dette, d’inertie et de cynisme. Les Français finiront-ils par le comprendre ? Accepteront-ils de réformer leurs institutions avant qu’il ne soit trop tard ? Rien n’est moins sûr. Car si l’histoire nous apprend une chose, c’est que la France ne se réforme pas : elle explose. Que voulez-vous, les auteurs avaient raison, la France est une femme. Lorsqu’elle craque, les digues cèdent, et sa révolution balaie tout sur son passage. Et, deux siècles plus tard, on recommence. C’est normal. Dans le monde réel, en géométrie, lorsqu’un corps effectue une révolution, il revient toujours à son point de départ. En attendant, les courtisans continuent de festoyer, les journalistes de prêcher, et les actifs de trimer. Et la grande farce républicaine se joue, encore et encore, devant un public qui, peut-être, commence à en avoir assez. Car à force de tourner en rond, il arrive un moment où l’on finit par s’enferrer dans l’immobilisme. Ou pire, par s’effondrer. Alors, chers compatriotes, levez vos verres à cette belle illusion républicaine. Et préparez-vous à retourner à la case départ en faisant un tour sur vous-même. Après tout, il n’y a qu’à regarder du côté de Fessenheim pour s’en convaincre : nous sommes les champions du gâchis.

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* Selon l’historien de l’Ancien Régime Pierre Goubert « la totalité de l’impôt représente dans ces années-là entre 30% et 50% du revenu du travail paysan. Et bien sûr l’impôt ignore les mauvaises années. »