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Patrice Faure ou la fin des Jean Moulin
Il a servi l’État, mais l’État ne sert plus la République. Ancien haut-commissaire en Nouvelle-Calédonie, Patrice Faure est nommé préfet de police de Paris. Fidèle d’Emmanuel Macron, il incarne une génération de serviteurs loyaux dans un régime qui ne croit plus qu’à sa propre survie. Portrait implacable de la fin des Jean Moulin.
Il a le visage tranquille des serviteurs de l’État. Né à Crest, dans la Drôme, fils de la méritocratie républicaine, passé par la pâtisserie avant l’uniforme, Patrice Faure a gravi un à un les échelons de la République. Militaire, agent du renseignement, préfet, haut-commissaire, directeur de cabinet du président. Une carrière exemplaire, droite, classique.
Mais peut-être, aussi, le symbole d’un basculement : celui d’une France qui a troqué la foi républicaine contre la docilité bureaucratique.
Avec Jean-Jacques Brot, Alain Christnacht et Thierry Lataste, Patrice Faure fait partie de la courte liste de préfets qui connaissent la Nouvelle-Calédonie jusque dans ses silences. C’est sous sa vigilance que le territoire a accompli son devoir démocratique : trois référendums, trois “non” nets, trois consultations incontestables.
Mais c’est sous la présidence de son chef, Emmanuel Macron, que ce résultat a été nié, contourné, vidé de son sens. Comme le référendum européen de 2005, celui de la Calédonie a été rangé dans la catégorie des “votes qu’on ne comprend pas”. Le pouvoir central a choisi de poursuivre le “dialogue”, c’est-à-dire d’ignorer la décision du peuple.
Patrice Faure le sait.
Il sait que cette fuite en avant a enfanté la colère de mai 2024. Parce qu’un État qui prétend aimer la démocratie mais refuse d’en assumer les verdicts prépare toujours l’émeute. Il sait que le dégel du corps électoral, simple conséquence juridique des trois référendums, a été perçu comme un “passage en force” uniquement parce que le chef de l’État n’a jamais eu le courage d’assumer la légitimité qu’il réclamait.
La République s’est affaiblie non par excès d’autorité, mais par lâcheté d’interprétation.
Patrice Faure aura donc servi la continuité d’un régime qui ne croit plus à la République, mais seulement à son maintien. Il a fait ce qu’il devait : protéger, administrer, maintenir l’ordre. Mais au bout du compte, à quoi sert l’ordre s’il ne protège plus la vérité ?
À quoi bon être fidèle à un pouvoir qui n’est plus fidèle à lui-même ?
Les préfets d’autrefois – les Jean Moulin, les Pierre Racine, les Louis Lépine – servaient une idée, pas une carrière. Leur obéissance n’était qu’un moyen de servir la nation, pas un contrat de silence.
Patrice Faure appartient à une génération de grands commis convaincus que “tenir” suffit à “sauver”. Mais tenir un mensonge, c’est déjà l’aggraver. On ne défend pas la République en protégeant ceux qui la dévitalisent ; on la trahit par excès de loyauté.
Un jour, peut-être, Patrice Faure repensera à ces mois passés dans le sillage du pire président de la Vᵉ République – cet enfant d’acteurs persuadé de jouer De Gaulle, et qui n’aura fait que rejouer Louis-Philippe. Il se souviendra d’un pays où les préfets parlaient clair et où les présidents se taisaient. Et il comprendra que la France ne s’effondre pas faute d’ennemis, mais faute de courage.
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“Vous avez fait perdre du temps à la France”, disait de Gaulle en 1957. C’est tout le drame de Patrice Faure : il aura servi la République avec loyauté, mais dans un temps qui ne savait plus ce qu’il servait.
Et c’est peut-être cela, la fin des Jean Moulin : quand la fidélité devient la forme polie de la lâcheté.
