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La Nouvelle-Calédonie a-t-elle encore un avenir ?

Le conflit de Gadji, le conflit des rouleurs, deux derniers épisodes d’une longue liste d’agitations qui émaillent la vie de ce pays depuis de nombreuses années. Agitations corporatistes, grèves, blocages orchestrés par des actions syndicales ou politiques parfois violentes que nous connaissons depuis tant d’années. Sans oublier non plus la télénovela politique à laquelle les Calédoniens assistent depuis la chute du gouvernement Gomès en 2011 et jusqu’à cette année 2015, sur fond de manœuvres mues par des rivalités personnelles, de partis, ou des calculs de circonstances. Ces quelques exemples parmi tant d‘autres, comprendre leur nature et faire la somme de tout cela amène forcément une question de fond dont il est peut-être temps qu’on prenne conscience que celle-ci se pose : ce pays a-t-il encore un avenir ?

Pourquoi cette question ? Parce depuis des années, et ces dernières semaines ce qui se passe va à l’encontre ce qui est souvent cité comme « un pays en construction » . D’abord, les conflits cités plus hauts (Gadji, rouleurs) comme tant d’autres avant trouvent indubitablement leur explication dans des manipulations politiques, affairistes (ou les deux en même temps) ou opportunistes les plus viles, les plus tordues, les plus fourbes. Après les syndicats, des magouilleurs affairistes, les manœuvres politico-affairistes, avec le conflit de Gadji voilà que les coutumiers entrent dans la danse à leur tour. Ainsi on constate que l’on va toujours plus loin dans cette dérive bien calédonienne qu’est le mélange des genres; on ne recule devant rien. Le conflit du port en 2006 était déjà un honteux mélange entre politico-syndicalisme et affaires commerciales, le conflit de Gadji apparaît aujourd’hui comme un conflit où la coutume et les affaires s’entremêlent de manière malsaine par l’appât du gain (triste exemple d’instrumentalisation de la « culture ancestrale » pour de l’argent). Les syndicats, les intérêts corporatistes, la politique-business, et maintenant la coutume (il ne manquait plus que çà) tout se mélange, tout le monde se mêle de tout et veut une part du gâteau de l‘autre et il en résulte que ce pays s’enfonce peu à peu en devenant un bazar ingérable où des forces ou intérêts obscures ne reculent devant rien, où plus rien n’est à sa place et où tout est motif d‘agitation.

Ça, c’est pour le fond, vient ensuite la forme. Les conflits sociaux, grèves et autres perturbations motivés par des intérêts corporatistes, des calculs politiques ou personnels ou l’appât du gain ont inscrit dans l’Histoire de ce pays que cela finit toujours par se régler par la force, par le blocage, par l’action égoïste, par la loi du plus fort dans la rue, par des actions disproportionnées (par la loi de ceux qui ont les plus gros muscles ou les plus grosses carrosseries) , par le piétinement de la démocratie et des institutions élues, par le piétinement de l’intérêt général, et pour finir en beauté par la prise en otage de la population, nous, leurs propres concitoyens. Ceux qui orchestrent autant que ceux qui actent ces pratiques ne sont rien de moins que des voyous qui n’aiment pas ce pays parce qu’ils ne respectent pas sa population. Les exemples ne manquent pas; c’est toujours par ce moyen de coercition que les adeptes du coup de force obtiennent ce qu’ils veulent, quel qu’en soit le bien-fondé. Les blocages routiers, méthode classique d’étranglement du pays, sont une violence exercée sur la population, une violence exercée par des Calédoniens sur d’autres Calédoniens pour obtenir gain de cause, c‘est bien cela qui est choquant; ça augure mal de l’avenir du pays quand on voit à quel point le respect de l’autre est ainsi piétiné par l’usage de telles méthodes; la société civile s‘en trouve encore plus fragmentée, divisée. Le drame de ce pays, c’est qu’il dispose d’un grand vivier de gros bras facile à manipuler, et certaines actions s‘apparentent à rien de moins que du terrorisme. Et ne comptez plus sur l’Etat pour empêcher ces pratiques, redresser la barre, ramener ces agitateurs à la raison et assurer la liberté de circuler des citoyens (français) que nous sommes. Non ! L’Etat est aux abonnés absents depuis un bon moment et il faut inclure cela dans la donne, au grand désarroi des citoyens patients et paisibles que nous sommes.

Cette dangereuse dérive que sont ces actions anti-citoyennes, ce fractionnement de la société calédonienne en agitateurs d’un côté et en victimes (nous) de l‘autre, mais surtout un fractionnement en groupes de forces nombreux et de nature diverses au service de leurs propres ambitions ou intérêts serait peut-être un mal plus facile à contenir et aux effets limités si l’on assistait pas non plus depuis quelques années au fractionnement inquiétant du paysage politique calédonien; tellement fractionné que cela se passe à l’intérieur des camps traditionnels eux-mêmes, la guerre intestine générée par la levée du drapeau indépendantiste en 2010 étant une date clé. Aujourd’hui, on sent aussi les prémices de fractures importantes dans le camp indépendantiste. Les non-indépendantistes et les indépendantistes ont cela en commun d’abriter en leur sein des turlupins agitateurs. Au niveau institutionnel, il en résulte aujourd’hui que nous avons des gouvernements qui ne sont que des assemblages de bric et de broc, bancals, éphémères; à l’instabilité sociale suscitée par des actions citées plus haut s’ajoute le fait que ce pays est de plus en plus fractionné et instable au niveau de ses institutions. Et plus grave encore, certaines actions sur le terrain n’ont que pour but de fragiliser les institutions et déstabiliser le pays politiquement, habitude malsaine ancrée dans les esprits qui augure mal de l’avenir de ce pays. Et pour compliquer le tout et atteindre l’apothéose, voilà maintenant la charte du peuple kanak qui n’est rien de moins qu’une tentative sournoise d’intrusion des coutumiers dans les rouages institutionnels du pays à égalité avec les assemblées légitimement élues (Allez voir le tableau page 35 de la charte), intrusion qui pourrait être déstabilisante pour l’Accord de Nouméa ou tout autre processus politique à venir. La régression kanakiste incarnée par cette charte ne fait que compliquer inutilement la situation de ce pays. Mais l’opportunisme et l’appétit de pouvoir se fiche de cela.

Nous Calédoniens vivons dans un pays qui se fractionne socialement, politiquement, subissons de plus en plus un désordre organisé par de multiples forces obscures et égocentrées et de toutes natures, qui ne reculent devant rien, avec en dessous de table (qui nous sont souvent inconnus) des calculs et mêmes des interdépendances d’intérêts. Devant ce triste constat, la Nouvelle-Calédonie a-t-elle encore un avenir ? Car aujourd’hui la question de cet avenir ne se pose plus simplement en termes politiques de maintien dans la France ou d’indépendance. Ces choix ne sont plus une fin en soi, ce débat est dépassé aujourd‘hui. La vraie question, c’est ce cancer qui détruit ce pays de l’intérieur, qui pourrit les mentalités, déchire encore plus le tissu social d‘un pays déjà fragile et monte les gens les uns contre les autres. Ce pays abrite en son sein des mafias, bien locales de part leurs méthodes et de part les spécificités du pays et le pouvoir de nuisance de certaines véroles qui tirent les ficelles. Quant aux politiciens indépendantistes, s’ils croient encore que l’indépendance sera s’installer confortablement dans les beaux fauteuils capitonnés de l’immeuble du Gouvernement et prendre les rênes du pays avec leur drapeau et leur socialisme dirigiste, ils se trompent. Ils devraient être lucides, prendre la mesure des choses et aujourd’hui avoir eux aussi peur de l’indépendance autant que l’ont ceux qui n’en veulent pas, parce qu’avec de tels ingrédients d’instabilité (sans oublier leurs divisions entre eux) la kanaky sera un beau joujou qui leur explosera à la figure à la première agitation sociale, avec cette fois l’absence de la France et ses forces de l’ordre pour protéger les institutions (quoique, on est déjà sur cette voie) et donc la stabilité politique et sociale du pays indépendant tout entier. La stratégie déstabilisatrice des « événements » pourrait bien se retourner contre eux une fois « souverains ».

Et puisque l’avenir de ce pays doit s’inscrire dans « le destin commun », il faut bien comprendre que celui-ci ne se limite pas à être un concept abstrait qui se décrétera par un accord ou autre solution décidée dans les sphères politiques et marchera tout seul; il devra puiser ses racines, sa force, son existence même dans une société plus unie, mieux respectée, avec un idéal de prospérité commune et protégée, avec des règles et des lois respectées elles aussi , où chacun reste à sa place et fait preuve de sagesse et de modération dans l‘intérêt de tous. Et au vu des agitations et méthodes que l’on fait subir à ce pays et ses habitants, il est bien évident que les conditions sous-tendant au bâtir d’un destin commun ne sont pas réunies; qui aujourd‘hui a pris conscience de cette gravité ? Même si toutes les sociétés ne sont pas soudées et unies de manière forte et parfaite, il faut bien voir que la société calédonienne elle, est fracturée de manière multiple, profonde (et les fractures de spécificités locales, ethniques, claniques, etc ?) et récurrente, avec comme facteur aggravant la montée rapide du rapport de force et de la disproportion, et de ce fait aujourd’hui on se demande bien sur quelles fondations solides, concrètes et durables un destin commun peut-il encore reposer ? Car ce n’est plus un pays « en construction » auquel nous avons à faire comme aiment le dire les politiques et autres acteurs sociaux, mais bien un pays « en déconstruction ». La réussite d’un pays, de sa société, de son économie, de son fonctionnement politique se fonde sur un « modèle »; ce modèle, c’est la somme et le résultat des façons de penser et d’agir de tous les individus et groupes d’individus jouant un rôle clé, structurant dans ladite société. Et aujourd’hui le modèle calédonien est bien évidemment un échec.

Ce pays n’aura pas beaucoup de mal à trouver ses signes identitaires; il les a déjà : la culture du blocage, la culture du rapport de force, la culture de la magouille et de la manipulation, du mélange éhonté des genres, la culture des calculs et intérêts personnels ou politiques qui piétinent les institutions, l’intérêt général et les libertés publiques; ce pays est mal barré, bien mal barré, car les forces obscures et non-démocratiques nous rappellent souvent qu’elles sont bien là, dans l’ADN même du pays. Quel modèle ces individus vont-ils léguer aux enfants qui seront la prochaine génération ? Quel avenir, quel destin commun peut-on construire dans de telles conditions ? Aujourd’hui les questions, les problématiques de fond ne se posent plus en ces termes simples de maintien dans la France ou d’indépendance. Pauvres de nous, pauvres Calédoniens. Certains de mes lecteurs verront peut-être en moi un pessimiste acharné, mais pour ma part je pense être d’abord un réaliste qui n’a pas peur de regarder les choses en face, les comprendre et les dénoncer telles qu’elles sont. L’optimisme de façade, bienpensant et facile qui élude les réalités ne fait pas partie de mes modes de pensée. Et par mes articles je me donne –modestement– pour rôle d’aider les gens de ce pays à analyser ce qui se passe autour d’eux et prendre la mesure des choses dans toute leur nature, leur ampleur et surtout leur gravité. Ils leur incombera peut-être un jour de prendre le problème à bras le corps et remettre leur pays sur la bonne voie, dans l‘intérêt de tous…. même des agitateurs nuisibles; c’est-ce que j’espère. Pour nous aussi il faut changer de logiciel.

Mister Eric

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Laurent
Laurent
2 octobre 2015 14:49

Constat pessimiste, mais constat réaliste tout de même. La cristallisation de tous les débats sur les problèmes institutionnels est en train de se fissurer, et la NC se rend compte que son modèle de société, néo-libéral pour des raisons historiques, ne peut pas ici plus qu’ailleurs apporter de solution pérenne. Le capitalisme se nourrit de destruction du commun au profit d’une oligarchie, il ne peut durer… La solution est donc ailleurs, et la recomposition actuelle, si on fait l’économie des gesticulations des zélites, nous ramènera sans aucun doute à la confrontation originelle entre ceux qui produisent la richesse et ceux… Lire la suite »

Laurent
Laurent
Répondre à   Mister Eric
6 octobre 2015 13:46

Je ne partage pas cette analyse; il n’y à pas plus de pourris ici qu’ailleurs, en revanche ils bénéficient sans doute de plus de mansuétude, pour ne pas dire complicité, qu’ailleurs. Et c’est principalement dû, selon moi, à la taille du panier de crabes: tous se connaissent, institutionnels, journalistes, capitalistes et politiques. La promiscuité est trop forte. Pour cette même raison, je doute que de “nouveaux politiques” puissent ne pas se trouver immédiatement salis dès leur apparition dans ce panier, sauf à lui appliquer une surveillance de tous les instants. La transparence est ce qui nous sauvera, mais on ne… Lire la suite »

badi
badi
3 septembre 2015 18:11

Au delà du constat et/ou du pessimisme ambiant encore sous le coup de l’émotion dût à ce conflit qui aura marqué les esprits, où comment des égoïsmes corporatistes prennent le dessus sur les autres composantes de la Société Calédonienne, ou comment des peurs irraisonnées des petits rouleurs sur leur avenir mais manipulées par des “petits mineurs” qui les tiennent par les c…. Le Pays doit préparer son évolution vers un avenir qui reste à écrire. Au regard de son Histoire, on devra retenir que ce conflit aura exacerber ses contradictions, rappeler que la construction économique de son émancipation ne peut… Lire la suite »

Fab
Fab
2 septembre 2015 16:47

Ce ramassis sans fin de qualificatifs péjoratifs et abstraits est aussi creux qu’ennuyeux. Vos jugements excessifs et gratuits se répètent en boucle dans un style hautement indigeste et sans jamais se fonder sur le réel. Ils n’ont d’ailleurs aucune portée si ce n’est d’alimenter une doxa décliniste parfaitement décourageante et de cliver les rapports au sein de cette société plurielle dans laquelle, ne vous en déplaise, beaucoup sont heureux. Puisque tout est si moche et si désespérant ici bas on se demande ce que vous y faites encore et pourquoi vous gâchez votre talent à nous saouler de critiques tout… Lire la suite »

gil
gil
31 août 2015 19:01

Il ne faut pas desesperer, De Gaulle disait qu il etait impossible de gouverner un pays qui avait 258 variété de fromage. Et pourtant 60 ans apres, les metros sont devenus des vrais moutons.

Beru
Beru
31 août 2015 18:18

Bah c’est bien mais tu pouvais dire la même chose en 3 fois moins long. La synthèse mon gars, la synthèse…

Lemec Dici
Lemec Dici
31 août 2015 17:32

L’avenir de la Calédonie se fera à l’image de son passé: la violence. La violence est toujours gagnante dans ce pays, on vient de le voir encore. Pourquoi voulez-vous que cela change ?

Rico13
Rico13
30 août 2015 14:55

Merci pour ce texte. Exactement ce que je pense de la situation de notre NC. Grâce à vous, je me sens moins seul à penser cela. Pour aller plus loin, je dirais que tout a été préparé méthodiquement dès la conception des accords de Matignon et Nouméa car les rédacteurs de ces accords avaient et ont depuis le début l’idée d’imposer une NC indépendante mais que cette indépendance doit se faire sans heurts, en douceur, afin de réussir pour la France une décolonisation.

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