Le printemps n’est pas une saison arabe

Jacques Chirac, aujourd’hui perdu dans sa mémoire, se souvient-il combien il avait eu raison ? Lui, l’ancien sous-lieutenant de la guerre d’Algérie, qui s’était bien gardé de jouer les chefs de guerre pour épargner à la France un conflit inutile, dont elle paye aujourd’hui malgré elle les graves conséquences. Il faut relire le discours de son 1er ministre d’alors, Dominique de Villepin, prononcé à l’ONU le 14 février 2003 contre la guerre en Irak. Au-delà de la tirade sur la France vieux pays d’un vieux continent l’Europe, il y contenait quelques phrases prémonitoires, dont nous n’avons pris garde, mais qui résonnent désormais à nos oreilles :

Une intervention militaire prématurée remettrait en cause cette unité, ce qui lui enlèverait sa légitimité et, dans la durée, son efficacité. Une telle intervention pourrait avoir des conséquences incalculables pour la stabilité de cette région meurtrie et fragile. Elle renforcerait le sentiment d’injustice, aggraverait les tensions et risquerait d’ouvrir la voie à d’autres conflits

Les successeurs de Chirac n’ont eu ni la prudence ni l’humilité de convenir qu’être chef des armées ne faisait pas d’eux des Clausewitz ou des Talleyrand. Sarkozy comme Hollande ont cru, et croient encore sans doute que, sur le vide et le chaos créés par des interventions militaires, pousseraient les ferments de la démocratie. L’un et l’autre ont cru qu’être les tuteurs de révolutions populaires, les fameux printemps arabes, les posterait sur la chronologie de l’Histoire. Quelle ignorance de ces civilisations et de ces cultures politiques, basées sur la tribalité, la vassalité, le culte et le respect du raïs, le chef ! La politique menée depuis 2007, ayant fait table rase imprudemment de ce qui fonde la société arabe, a conduit les extrémismes à occuper la place que nous leur avons déblayée. La démocratie, telle que nous la vivons aujourd’hui, ne s’exporte ni ne s’impose, et notamment pas d’un seul coup d’un seul pour remplacer les dictatures. Michel Houellebecq le souligne dans une tribune à un journal italien dans laquelle il accuse Sarkozy et Hollande d’avoir :

Plongé dans le chaos, d’abord l’Irak, puis la Libye. Et ces dirigeants étaient sur le point, il y a peu de temps encore, de faire la même chose en Syrie (19 novembre, Il Corriere della Serra)

Or qu’arrive-t-il maintenant ? Nous découvrons, dans le sang et les larmes, que la « mission civilisatrice » que nous nous étions arbitrairement fixée pour étendre nos systèmes politiques à d’autres a tragiquement échoué, et que les régimes renversés au Maghreb comme au Moyen-Orient, pour odieux et autoritaires qu’ils furent, stabilisaient cette région du monde. Pas facile de se dire que nous sommes peut-être la cause des malheurs qui nous frappent ! La guerre dont nous ne voulions pas il y a douze ans vient de nous rattraper hélas ! Mais le pire est bien que nous, qui ne voulions pas faire tuer nos soldats pour Bagdad, nous ramassons maintenant nos morts rue de Charonne et au Bataclan…

Captain Cap