La haine de l’héritière

Lettre d’un esprit français à ceux qui n’ont pas vu la fin arriver

J’ai connu la France quand elle n’avait pas encore honte d’être vieille. J’ai vu passer les Croix de guerre et les drapeaux repliés, les pleins pouvoirs, les congrès radicaux, les majuscules républicaines et les trahisons mitterrandiennes. J’ai vu les ministres sortir par la porte de l’Assemblée et rentrer par celle du Conseil d’État. J’ai vu les Républicains s’inventer des vertus au fur et à mesure qu’ils perdaient leur autorité. Aujourd’hui, je regarde la scène et je reconnais les gestes. Mais quelque chose a changé. Ce n’est plus un combat pour gouverner. C’est un procès pour empêcher.

On ne juge pas Marine Le Pen pour ses actes. On l’exclut pour ce qu’elle incarne.

Elle n’est pas antisystème. Elle est simplement la preuve que le système ne suffit plus. Elle n’a pas lu Michelet, mais elle parle mieux au peuple que ceux qui citent Hannah Arendt. Elle n’a pas dirigé un ministère, mais elle a survécu à vingt ans de harcèlement médiatique sans jamais exploser. Elle ne parle pas la langue du Conseil d’État, mais elle comprend la fatigue des classes moyennes. Et cela, les anciens ne le supportent pas.

La caste au pouvoir aime la filiation, mais déteste l’héritière. Marine Le Pen est leur parente honteuse. Elle parle comme eux, mais sans leurs codes. Elle cite la République, mais sans faire l’ENA. Assimilation, mérite, patriotisme. Elle parle comme un député de la Troisième, mais sans la moustache ni le latin. Elle est l’enfant mal élevé de la République bourgeoise. Et comme souvent dans les vieilles familles, c’est l’enfant bâtard qui fait trembler les meubles.

Ils sont sûrs d’avoir raison. Parce qu’ils ne savent plus douter.

Ce qui est fascinant, c’est que ces gens ne sont pas cyniques. Ils ne sont pas mauvais. Ils ne mentent même pas vraiment. Ils croient sincèrement qu’ils sauvent la République en luttant contre une Le Pen. Ils croient qu’en éliminant Marine, ils protègent les institutions. Mais ce qu’ils protègent, c’est leur monde, pas le nôtre. Un univers de fauteuils rouges au Palais Bourbon, de tribunes partagées dans Le Monde, de chroniques sur France Culture, de discussions feutrées à la Cour des comptes.

La morale comme rempart de la caste

Dans une autre époque, on aurait dit : “Elle est inéligible parce qu’elle est dangereuse.”
Aujourd’hui, on dit : “Elle est inéligible, donc elle est dangereuse.” On inverse la causalité, on fabrique la légitimité a posteriori. On transforme une stratégie de neutralisation en geste de vertu. Mais les Français ne sont pas dupes. Ils voient que cette “vertu” n’a pas empêché la dette, les violences, la dislocation du lien national. Et ils se demandent : Qui est vraiment dangereux ?

Le moment Robespierre inversé

Robespierre envoyait les aristocrates à l’échafaud au nom du peuple. Aujourd’hui, ce sont les aristocrates de la République qui veulent trancher la tête médiatique de la représentante des classes populaires. Pas pour ce qu’elle fera, mais pour ce qu’elle pourrait faire : nommer des gens neufs, congédier les grands corps, redéfinir les loyautés. Marine Le Pen est condamnée pour crime d’alternance. C’est toute la tragédie française : retarder l’inévitable en prétendant le conjurer. Car l’Histoire est connue : quand les élites ne savent plus écouter, quand elles préfèrent disqualifier que débattre, quand elles confondent l’État et leur salle de rédaction… Alors le peuple ne vote plus pour être gouverné. Il vote pour faire tomber les murs.

Et moi, que puis-je dire ?

Je ne suis ni mariniste, ni militant.

Je n’ai pas de carte. Je n’ai plus d’illusion.

Mais je regarde mon cher et vieux pays, et je vois des juges faire ce que les urnes n’ont pas encore osé. Je vois des éditorialistes jouer les procureurs en robe blanche. Je vois une classe politique tout entière trembler non pas devant un programme, mais devant un prénom. Je vois la République se défendre comme une vieille dame qu’on bouscule dans la rue. Avec fierté. Avec peur. Avec maladresse. Elle croit que son sac à main, c’est encore un sceptre. Mais elle ne voit pas que son royaume a déjà changé de peuple.

Ces gens-là défendent la République comme on défend un théâtre vide. Ils parlent de “valeurs” quand le public demande du pain et moins d’impôts. Ils hurlent “danger fasciste” à des gens qui n’ont plus de médecin. Ils citent les Lumières, mais vivent dans l’ombre portée de leur propre caste. La haine qu’ils vouent à Marine Le Pen n’a rien à voir avec l’Histoire. Elle a tout à voir avec leur peur de sortir de scène sans les applaudissements.

Et c’est cela, au fond, la tragédie de cette France-là :

Ce n’est pas qu’elle meurt.

C’est qu’elle refuse de transmettre.

SIRIUS

Un républicain d’apparence. De ceux qui savent que la République n’a plus de roi, mais pas encore de père.