SCOOP : le coup de force de l’UC pour dégager les Loyalistes

La rédaction de Calédosphère s’est procurée les propositions que l’Union Calédonienne a adressées à l’UNI-Palika afin de faire main basse sur le gouvernement calédonien. Le plus vieux parti calédonien envisage ainsi de truster la présidence de l’exécutif mais aussi d’octroyer au Palika la vice-présidence de l’institution. Dans le même temps, le mouvement indépendantiste souhaite s’appuyer sur son partenaire de l’UNI pour s’accaparer l’ensemble des compétences aujourd’hui exercées par les membres Loyalistes du gouvernement. Et si, pour le FLNKS, “terre de partage” était en fait le synonyme de « tout pour ma gueule » ? Explications et révélations.

Comme toujours à l’Union Calédonienne, il y a ce qu’on dit dans la sphère publique et ce qu’on avoue en petit comité, loin des caméras et des médias. En effet, une semaine après avoir demandé au congrès l’organisation du 3^ème référendum, dans une note interne que nous nous sommes procurés, l’Union Calédonienne a établi la liste des propositions que le parti va faire au Palika, son partenaire indépendantiste au sein du FLNKS en vue de prendre la présidence du gouvernement ainsi que tous les portefeuilles aujourd’hui gérés par la majorité non-indépendantiste. Il faut dire que cela fait 2 mois et 26 jours que les membres du FLNKS ont fait chuter le gouvernement et qu’ils n’ont pas encore réussi à se mettre d’accord sur la manière d’élire un président et de constituer une majorité pour le faire fonctionner. Cette démission ayant été décidée à la va-vite fin janvier pour empêcher la réunion du Conseil des Mines et donc la vente de l’usine de Vale-NC… Une stratégie qui a magistralement échouée puisque le processus de vente de l’usine hydro-métallurgique s’est conclue le 4 mars dernier avec la signature d’un accord politique entre les responsables Loyalistes de la province Sud, les coutumiers de la région et des élus indépendantistes du sud. Et pour sortir de l’impasse dans laquelle ils se sont eux-mêmes fourrés, le 15 avril dernier à Koné, le Comité Directeur de l’UC a donc établi une liste de propositions qui précise la stratégie du parti. Celle-ci vise en fait à s’appuyer sur le Palika pour évincer les membres Loyalistes du gouvernement de tous les secteurs importants et à accaparer la présidence et la vice-présidence par des élus indépendantistes.

Pour l’UC, grâce à l’Eveil Océanien, les indépendantistes ont réussi à « amputer les Loyalistes de la majorité »

En premier lieu, les instances dirigeantes du plus vieux parti calédonien dressent un constat élogieux de leur mouvement ainsi que de son assise territoriale, le parti gérant une province sur 3 et 13 communes sur les 33 de la Nouvelle-Calédonie. S’appuyant sur son ancienneté et ses « 32 comités locaux », l’Union Calédonienne précise bien que c’est grâce aux voix des trois élus de l’Eveil Océanien que les indépendantistes ont obtenu, pour la première fois depuis le début des années 80, une majorité dans l’exécutif du pays (alors que ceux-ci sont minoritaires au sein de l’électorat ayant le droit de vote aux provinciales). De plus, l’Union Calédonienne fait totalement l’impasse sur un quelconque programme de gouvernement ou sur un listing des réformes à faire, mais appuie en revanche sur l’intérêt principal derrière cette prise du gouvernement, à savoir « constituer un levier pour l’accession à la pleine souveraineté via la 3^ème consultation » :

« Considérant la constitution du groupe UC-FLNKS et Nationalistes et l’Eveil Océanien conduisant notre groupe à être le premier groupe indépendantiste, nationalistes et progressistes du Congrès avec 16 élus dont 3 de l’Éveil océanien, considérant la composition d’une liste par notre groupe au Congrès pour le 17ème gouvernement intégrant l’Éveil Océanien qui permet aux indépendantistes de prétendre, après 40 ans, à une majorité à l’exécutif du pays, et ainsi amputer les loyalistes de la majorité au congrès et au gouvernement (…) la gestion de l’exécutif du pays constitue un levier pour l’accession à la pleine souveraineté via la troisième consultation (Ext p.1, « les propositions de l’UC à L’UNI », 15/04/2021 ; sources : Codir de l’UC)

Dans un second temps, l’Union Calédonienne critique sans retenue son partenaire indépendantiste du Palika, lui reprochant de faire en quelques sortes bande à part et de s’opposer politiquement à l’UC au sein du FLNKS, mais aussi au sein de l’assemblée de la province Nord. L’UC estime ainsi que le projet parallèle du Palika pour l’après-référendum (la souveraineté partagée avec la France) a prêté « à confusion » dans l’électorat indépendantiste :

« Le PALIKA s’est littéralement opposé à l’intégration des nationalistes et des forces vives, même en tant qu’observateurs, au sein du FLNKS (…) le PALIKA s’oppose constamment à la nomination d’un président du FLNKS qui doit traduire l’unité irréprochable de la mouvance indépendantiste notamment au vu des échéances référendaire (…) l’UNI en Province Nord rejette depuis deux mandatures, l’unité des indépendantistes, en refusant les candidatures de l’UC au sein de l’exécutif provincial (…) les deux campagnes référendaires se sont déroulées avec un projet commun du FLNKS et un projet annexe de l’UNI qui a porté à confusion (Ext p.1, « les propositions de l’UC à L’UNI », 15/04/2021 ; sources : Codir de l’UC) »

Enfin, sur le plan de la ligne politique, l’UC reproche à son frère-ennemi du Palika d’avoir signé l’agenda économique, social et fiscal partagé lequel aurait « évincé les accords économiques et sociaux engagés par Roch WAMYTAN président du Congrès en 2012 ». Un agenda qui n’aurait, de plus, « pas produit les effets escomptés ». Ambiance…

Le discours complétement schizo de l’UC

C’est dans la partie suivante que ce document devient particulièrement intéressant et par là-même très éclairant quant à ce qui se trame dans la tête des leaders de l’Union Calédonienne. En effet, dans des propos liminaires, l’UC affirme qu’avec l’UNI les deux mouvements partagent plusieurs points de convergence dont : « la nécessité de confier la vice-présidence à un représentant non-indépendantiste pour privilégier la collégialité gouvernementale », mais aussi « la nécessité de mener notre pays à la pleine souveraineté en imaginant un futur partagé dans le cadre du destin commun » ou encore s’agissant de l’Eveil Océanien que « le gouvernement doit nécessairement inclure l’Éveil océanien, symbolisant l’ouverture à tous de notre pays ». Ça c’est pour les principes. Cependant, dans les faits, lorsqu’on lit les propositions de l’UC, on cherche avec difficulté les traces de « collégialité », de « destin commun » et « d’ouverture à tous ». Car, dans la conclusion du document intitulée « Propositions pour la répartition des secteurs, l’organisation et la coordination générale entre les membres issus des groupes indépendantistes au congrès », nulle trace d’un élu de l’Eveil Océanien parmi les heureux futurs ministres de notre gouvernement à majorité indépendantiste puisque les 6 élus de l’UC et de l’UNI se sont déjà répartis les rôles et distribués les postes :

« L’Union Calédonienne formule la présente proposition que Samuel HNEPEUNE devienne le président du 17ème gouvernement de la Nouvelle-Calédonie et que Louis MAPOU en soit le Vice-Président :

Présidence

Samuel HNEPEUNE – en charge des relations extérieures, de la sécurité civile, de l’économie, de la

relance économique, de la fiscalité et des comptes sociaux

Vice-Présidence :

Louis MAPOU – en charge de la stratégie de la mise en valeur des ressources naturelles, du code minier et du commerce extérieur, des discussions sur l’Avenir Institutionnel.

Santé et les affaires sociales

Yannick SLAMET

Finances et budget et des relations avec le congrès, les provinces et les communes de la Nouvelle-Calédonie

Gilbert TYUIENON

Travail, l’emploi, du dialogue social de la formation et de l’insertion professionnel, de la Jeunesse, du sport et affaires coutumière

Adolphe DIGOUE

Aménagement, transport, énergie et la culture

Mickael FORREST »

Extrait p3, « les propositions de l’UC à L’UNI », 15/04/2021 ; sources : Codir de l’UC)

C’est ainsi que, pour plaire au Palika, l’UC propose d’attribuer à Louis Mapou la vice-présidence ainsi que le portefeuille du nickel, des ressources naturelles et du code minier, mais aussi les relations extérieures et le commerce extérieur (afin que Louis Mapou ait de bonnes futures-raisons pour pouvoir voyager aux frais de la princesse ? Voire…). S’agissant des autres compétences, l’Union Calédonienne propose simplement que les indépendantistes les prennent toutes : l’économie, les finances, l’emploi, le budget, la santé, l’aménagement, la fiscalité, les comptes sociaux, les transports, la culture, l’énergie, etc. Bref, toutes les compétences détenues aujourd’hui par le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie à l’exception notable de la météo, de l’agriculture et de l’enseignement (mais c’est peut-être un oubli). Des compétences restantes que les 5 membres non-indépendantistes du gouvernement devront – on l’imagine – se partager lorsque les 6 élus du FLNKS auront terminé de dépecer l’institution de l’ensemble de ses portefeuilles (mais pour en faire quoi ? On l’ignore encore).

Trois mois pour se partager les postes, combien pour faire un programme ?

Alors que Daniel Goa fustige sans arrêt le manque de collégialité au gouvernement, le président de l’UC nous donne peut-être via ces propositions la véritable signification du mot « collégialité » pour les indépendantistes : à savoir « Je prends tout et tu prends le reste ? ». Reste que si la distribution de postes met trois mois, on imagine aisément combien il leur faudra de temps pour se mettre d’accord sur un programme commun… Mais bon, il faut dire aussi que les programmes, les lois et les réformes, visiblement ça peut encore attendre un peu. Après tout, ce n’est pas comme si la Calédonie traversait une crise sociale, sanitaire, économique ou budgétaire !